A la machine à café, sur Facebook, sur Twitter ou sur l’oreiller, qu’elles le veuillent ou non, les émissions de télévision génèrent des conversations. En bien, en mal, pourvu qu’on en parle. Sauf que la délinéarisation forcenée des contenus et la prochaine vague de téléviseurs connectés à internet risquent bien de faire chavirer les paquebots rétifs à intégrer la dimension participative dans le processus-même de création de leurs émissions.
« Engagez-vous ! » qu’il disait
Des sociétés se sont fait une spécialité de cette mesure qualitative du bruit généré autour des émissions de TV (Trendrr, Bluefin Labs, and Netbase, pour ne citer qu’elles). Le graphique ci-dessous, publié par Anne-Marie Roussel, montre bien l’activité suscitée “tout autour” de la diffusion elle-même d’une émission, laquelle cesse enfin d’être considérée comme une fin en soi, mais bien une étape dans un (plus ou moins long) processus.
Inclure la dimension participative dès le stade du brainstorm créatif permettrait donc d’établir une stratégie non seulement pour le contenu réellement diffusé (afficher un live-tweet à l’antenne relèvera bientôt presque de la commodité), mais aussi et peut -être surtout, afin d’exploiter au maximum les « produits dérivant » que sont les conversations qui naîtront tout au long des cycles de vie du produit (lorsqu’il n’est pas à l’antenne, donc, soit la plus majeure partie de sa vie)
About 40% of tweets during prime-time hours are about television
source: Beet.tv
“A quel(s) type(s) d’internautes notre produit risque-t-il de s’adresser ? Comment repérer d’éventuelles communautés existantes ? Comment casser la glace sans apparaître comme un vendeur de savonnettes ? Quelle part de contrôle acceptons-nous de perdre ? Quel budget peut-on allouer à la mise sur pied d’une opé imprévue mais dont l’urgence est dictée par les réactions de la communauté ? etc.).
En gros, il s’agit de gérer une émission comme un objet vivant, qui peut évoluer (pivoter, comme on dit dans la Silicon Valley), qui va se rendre servicielle pour sa communauté (celle targuetée initialement et/ou celle qui va s’emparer du produit)
Etre capable d’amorcer la pompe le plus tôt possible dans le processus en engageant des discussions en ligne très tôt en amont permet de donner une « brand awareness » moyenne plus élevée que dans les cycles de promotion traditionnels (où généralement, soit c’est tout, soit ce n’est rien en terme de force de frappe marketing). Lors de la diffusion/lancement, cela permettra de bénéficier d’une force d’inertie déjà très élevée et de connaître une décroissance naturelle de l’intérêt qui partira de plus haut dans la courbe.
J’ai pu constater ce phénomène lors du lancement de l’émission SansChichis (RTBF), qui bénéficiait depuis 3 mois d’une accompagnement en interne à l’émission déjà très fort sur les réseaux sociaux (sur Facebook en particulier). Cette présence de pré-lancement a permis lors de celui-ci de bénéfcier d’une brand-awarness déjà importante, et d’un trafic referall sur le site d’emblée au-dessus des 10 pc (12 pc, si je me souviens bien). Et de le maintenir, voire de l’augmenter selon une courbe haussière progressive, mois après mois.*
Les individus multitaskant sur leurs différents écrans vont d’ailleurs rendre les mesures TV classiques complètement obsolètes. Les rapports d’audience de la veille (vous savez, ceux à la grosse louche sur les 4ans et +) sont en passe de devenir aussi ringards et dangereux qu’IE6…
Réussir à qualifier et à transformer ces data sociales en monnaie sonnante et trébuchante ne sera pas une sinécure, mais assurément un passage obligé pour valoriser le temps réel d’attention et de traction généré par les nouveaux cycles de vie des produits.
Pimp My Promo
Exploiter les conversations nécessite donc de créer des conditions propices, de targueter les plus remuants parmi les internautes qui montrent un intérêt pour le produit et de mobiliser les ressources humaines ad hoc aux bons moments.
Les utilisateurs les plus virulents s’avèrent d’ailleurs très souvent d’excellents ambassadeurs par la suite, si vous ouvrez vos oreilles et agissez avec transparence. Vous montrez par la même occasion qu’il y a bien un humain derrière votre page Facebook et votre compte Twitter. Et qu’au final, il ne faut pas forcément une machine de guerre promotionnelle pour générer de l’attention qualitative vers votre produit.
« Oui, mais un Community Manager à plein temps, ça se paye ». Certes, surtout si vous anticipez bien et l’engagez assez tôt.
Sauf que les premiers à pouvoir “vendre” le produit sur les réseaux, ce sont les membres de l’équipe de prod elle-même. Les acteurs (au sens large) du produit peuvent (doivent ?) désormais se sentir concernés par une promo latente mais constante tout au long du processus de fabrication.
Donner à voir et à entendre des éléments de backstage, des liens, des impressions, des photos, des vidéo vite et bien torchées. Bref, créer une atmosphère, susciter de la confiance, établir des relations qui ont du sens … à condition bien sûr d’être fiers de leur produit. A ce stade, les télés dont la production propre (vs, produits achetés à l’extérieur) est importante vont avoir un avantage colossal. Et si l’écoute des internautes se fait de manière coordonnée et que chacun prend sa part de responsabilité (à commencer par les régies et les centrales d’achat médias), tous les intermédiaires actuels ne seront peut-être pas balayés…
C’est en fait beaucoup plus une question d’individu et de timing que de force de frappe. Et, à nouveau, pour l’avoir vécu, c’est un processus proprement passionnant et humainement fascinant.
Mais anticiper, accepter et de favoriser l’entrée le public dans le processus de fabrication, cela signifie aussi remettre en cause les processus internes des “vieux” médias. Lesquels, outre le fait de ne pas être forcément ceux à qui l’on pense en premier, n’auront pas trop le choix s’ils veulent survivre à la décénnie qui s’annonce. (12)
Copernic la TV !
Tous les indicateurs sont au vert. Le web et les écrans de télévision vont fusionner (lire à ce propos l’excellent papier de Eric Scherer : “C’est le tour de la télé ! “ ). Et l’actuel CES de Las Vegas ne fait qu’entériner un peu plus la vague de fond qui se profile à l’horizon. Dans peu de temps, les internautes pourront en effet faire se cotoyer en tête de gondole sur leur zapette aussi bien La Une et M6 que Les Echos ou Le Soir, le channel Youtube de Lady Gaga, celui sur Dailymotion de Remi Gaillard ou celui sur Itunes de Louis C.K.
Les clash frontaux entre producteurs natifs et migrants, entre tous les David et les quelques Goliath du petit écran vont valoir le détour. Surtout aux heures de grandes audiences de la TV. Je trépigne déjà d’impatience à l’idée de voir un jour un pur producteur web vendre un contenu à haute valeur ajoutée (cfr plus haut) à un médias historiquement papier (par exemple), qui le programmera en direct face à un gros JT…
Je rêve également des premiers contenus contextualisés et géolocalisés selon l’endroit où je me trouve (en réalité augmentée, via des lunettes ad hoc) ou encore d’une plateforme d’échanges permanents entre producteurs et consommateurs (non pas un média qui crée une plate-forme de plus, mais bien un média qui DEVIENT plate-forme, littéralement. Avec tout ce que cela comporte comme API et comme process de co-création de valeur ajoutée).
Evidement, ne soyons pas naïfs au point de croire que l’oligarchie médiatico-politique en place se laissera détrousser sans réagir. Bien sûr que les grands networks vont s’adapter (il ont les poches suffisamment profondes pour continuer à se tromper) , bien sûr que TF1 existera toujours dans 10 ans et que Sarko ou son successeur continuera à nommer le président de France TV. Bien sûr que les journalistes vont comprendre l’intérêt des conversations et évidemment que le journalisme n’échappera pas plus aux logiques commerciales de demain qu’à celles d’hier.
Mais entre tout cela, le champ des possibles n’a jamais été aussi grand et le jeu aussi ouvert qu’aujourd’hui. Les barrières et les freins à l’entrée sur le marché des contenus n’ont jamais été aussi bas. La culture numérique est en train de faire bouger les lignes de force et dans les états-majors une nouvelle génération de manager est en train de s’imposer.
(parenthèse)
En fait, et à nouveau selon mon expérience perso, le darwinisme à l’oeuvre s’avère bien plus cruel pour les ceux qui réchignent à intégrer la philosophie du web que pour ceux qui n’en maîtrisent pas la technologie. On peut être jeune, geek et socialement con comme un balai. Tout comme on peut avoir 60 berges, téléphoner avec un Nokia 5110 et se montrer d’une finesse rare dans la gestion de ses relations avec autrui. Depuis quand avoir un iPad rendrait intelligent ?
(/parenthèse)
#DataPorn
Un dernier aspect qui me semble important avec la généralisation des smartv et des dynamiques de double écran — les tablettes/mobiles jouant le rôle de porte d’entrée et d’interface vers un environnement sécurisant et complètement dédié aux “expériences utilisateur” (cfr ce répertoire d’applications qui socialisent déjà la TV), c’est la kolossale orgie de data à laquelle nous allons assister.
Chaque adresse ip fera l’objet d’un tracking individuel, chaque consommateur verra son “alimentation” passée au crible (think about Facebook, Apple, Google … ). Appliqué à l’univers de la TV, les conversations autour d’une émission vont permettre d’hyper segmenter les audiences, de les recouper et de leur adresser e.a. des pubs avec de très bons taux de clics (à défaut de mieux) mais également toute une nouvelle gamme de produits dérivés, issus notamment du catalogue “longue traine” des producteurs, de leurs partenaires, des recommandations par les pairs … et des conversations elles-mêmes.
Reste qu’offrir un bon service de catch-up ou de video on demand est une chose, capitaliser sur les conversations et “hacker” en permanence sa conduite pour générer de la plus-value “sociale” tout au long des cycles de vie des produits diffusés sur écran(s) en sera une autre.
Gentlemans’s, Start Your Engines !
(pour suivre ma veille sur le futur de la télévision, n’hésitez pas à jetez un oeil aux liens que je collecte chaque jour)
Credit photo: VentureBeat sur Flickr (BY-NC)
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