Comme à chaque fois que j'ai la chance de venir à San Francisco, je m’y suis rendu cette été pour tenter de valider, ou d’invalider, une série d'intuitions qui me trottent en tête. A 18 ans, je suis venu passer quelques mois ici sous une forme d'émancipation de l’ado que j'étais vis-à-vis de mes parents. Cette fois, j'ai eu la chance de pouvoir embarquer ma fille avec moi dans cette aventure et de lui mettre le pied à l’étrier (découvrez la vidéo réalisée avec elle sur Instagram)
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Full disclosure: je n’étais pas en mission sur ce projet. J’y ai investis du temps et des ressources pour pouvoir continuer à parler de ces enjeux technologiques le plus librement possible. N’hésitez pas à me soutenir en partageant ce billet s’il vous a plu, à m’inviter à animer des conférences ou des débats sur le sujet, ou à accompagner votre entreprise dans sa réflexion stratégique en la matière. Merci ! 🙏
Ce voyage a été rendu possible grâce à Xavier Tackoen, le CEO de Espaces-Mobilités et à Hubert Goffinet, de l’AWEX, en poste à San Francisco, et à un alignement des planètes, il y a quelques mois, quand on s'est rencontré avec Xavier qui travaillait lui depuis déjà un bon bout de temps avec ses équipes sur ces enjeux, quand ils m’ont dit “Viens, on va à San Francisco. Il est en train de se passer un truc sur les véhicules autonomes, quelque chose qui va bien au delà de juste des bagnoles qui se conduisent toutes seules”.
En ce qui me concerne, cela fait cinq ans maintenant que je conduis en full électrique. Je ne suis pas un mec de bagnole, en soi. Mais pour moi, c'est d'abord un ordi qui roule, et ça, quand on est un peu geek, c'est vraiment un truc qui m’excite.
Plus j’explore le sujet, plus je pense en effet qu'on est un tournant de ce que les capacités technologiques sont en train de nous proposer et que l'accélération à laquelle nous sommes en train d'assister est assez fulgurante
Aujourd’hui, les Waymo roulent dans San Francisco, à Los Angeles, à Phoenix et à Austin, au Texas. Ça change déjà le monde et ça va le changer encore plus dans les années à venir, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas. C’est d’ailleurs le principal enseignement au terme de ce voyage
La techno est prête. La société civile, non.
Se retrouver dans une bagnole qui, dans toutes les situations, dans une ville comme San Francisco, est capable de vous emmener d'un point A à un point B en toute sécurité. C’est assez fantastique et pour tout dire assez incroyable.
En évitant les pièges, en faisant attention à tous les usagers faibles. Et on en a eu des vélos autour de nous, des piétons. En fait, ces voitures voient bien au delà au-dessuset du regard humain.
Elles anticipent d'une manière telle qu’on se sent vraiment en sécurité. Et au bout du troisième ou quatrième voyage, on oublie qu'il n'y a pas de conducteur, on discute et on vaque à ses occupations. Technologiquement, c'est fantastique. Google a tout reconstruit, from scratch, parce qu'ils avaient les moyens, parce qu'ils avaient les ingénieurs, parce qu'ils avaient la capacité, et la vision aussi de pouvoir le faire, et ils sont pas tout seuls.
Et comme la techno est prête, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, elle va arriver chez nous, en Europe. Pony.ia a déjà mis un pied au Luxembourg et Pony.ia, c'est une machine de guerre.
Si Waymo est le Apple de la voiture connectée, Pony.ia, c'est Android.
Les démos auxquelles on a eu droit, notamment en ce qui concerne les gros transporteurs, les camions et les livraisons à domicile sont assez impressionnantes, comme chez Nuro, mais il y en a plein d'autres aussi, comme Zoox
Tous les gros sont dans la bagarre. Quand on regarde d'ailleurs dans les compositions des actionnaires. Ils sont tous les uns chez les autres. En fait, ils sont en train de reproduire exactement le même schéma que ce qu'on a pu avoir avec Facebook, Google, Microsoft, etc. dans les années 2000-2010
Again, la techno est prête. La seule chose qui nous manque, c'est un cadre réglementaire qui, en Europe en particulier, permettrait d’acceuillir ce genre de services. A San Francisco, ils ont peut être dix ans d'avance sur le cadre législatif et ça ne les empêche pourtant pas d'être quand même un peu à la botte et à la merci de ces grosses entreprises qui leur ont bien fait comprendre que s’ils avaient besoin de l'État pour pouvoir tester, ils comptaient quand même bien mener la danse, notamment celles des datas. San Francisco a été dans les premières villes à dire “ok, venez, on va vous mettre un cadre réglementaire”, et il y a eu moyen de négocier un peu avec Google pour trouver des arrangements raisonnables.
Mais de nouveau, tous les autres opérateurs vont débarquer. Le cadre réglementaire n'existe pas encore et plus on va attendre pour poser ce cadre, moins la marge de négociation avec ces grands acteurs sera importante. Et c'est un dilemme auquel nos hommes et femmes politiques vont devoir répondre vite, très vite. Parce que, comme je le disais, Pony.ia a déjà un pied au Luxembourg.
L’accord est signé et vous allez avoir très vite des voitures autonomes, avec encore un conducteur derrière le volant mais qui ne touchera plus à rien, circuler au Luxembourg pour mapper le territoire et commencer à offrir des services.
Je vois ça un peu comme un cheval de Troie en Europe. Toutes les autres villes vont être obligées de forcer le pas pour adopter leur framework légal et donc la marge de négociation sera moins importante. Evidemment, le Luxembourg est stratégiquement situé au cœur de l'Europe, à côté de la France et de l'Allemagne. Donc ça va aller très vite.
L’argument de la sécurité, vous allez l'entendre à toutes les sauces. Mais il est tellement vrai. Si vous éliminez le facteur humain de la conduite, vous augmentez la sécurité, c'est mathématique. L'humain fait des erreurs que les machines ne font pas. La machine ne picole pas avant de prendre la bagnole. La machine ne fait pas grève et ne tombe pas malade. D’un point de vue business, c’est imparable.
Il faut donc très vite se mettre autour de la table avec ces acteurs pour négocier et trouver des accommodements raisonnables, pour ne pas leur laisser le champ libre et diviser pour mieux régner. On sait qu'ils sont très forts à ce petit jeu. Dans le monde des médias, les grandes plateformes ont été capables de faire des deals avec chacun des éditeurs et des publishers pour avoir les meilleures conditions possibles et donc de ne pas avoir un front uni derrière eux.
Au niveau européen, on a encore la possibilité de le faire, je pense. Et ça, c'est en cours. Évidemment, il y a plein de personnes très intelligentes qui réfléchissent à tout ça, mais le cadre légal, c'est important de l'anticiper. On aurait vraiment tort d’attendre et d'être acculés pour réguler.
Il faut accélérer, mettre le cadre avant et leur dire “OK, mais à condition que” … et là, il y a une marge de négociation possible. Parce qu'ils veulent venir, ils sont prêts et ne veulent plus entendre parler de “faire des tests”. Evidemment, ils demandent des investissements. On parle d'une centaine de millions pour pouvoir se déployer. Ils les ont bien sûr ces 100 millions. Pour eux, ce n'est pas une question d'argent, c’est une question de vision. Google et tous les autres acteurs, Ils veulent tous passer de la calèche à la “vraie” bagnole, celle du 5ème élément, de K2000, de Minority Report, de Total Recall.
Waymo a annoncé faire 100.000 courses par semaine à San Francisco. Evidemment, il y a encore des accidents, et des couacs. Mais dans l'extrême grande majorité des courses, tout se passe nickel.
Arrivera donc un jour où les camions se conduiront tout seuls et feront la file indienne sur l'autoroute. Ce jour-là, beaucoup de gens auront perdu leur job. Qu’est-ce qu’on aura fait pour les aider, qu’est-ce qu’on aura mis en place pour accompagner ce changement de paradigme ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.
Les allumeurs de bougies du XIXᵉ siècle ont disparu quand l’électricité est apparue. Et je ne vois pas comment aujourd’hui nos états pourraient purement et simplement empêcher les véhicules autonomes, leur hardware et surtout leur software, de venir “manger le monde”, comme le proclame le fond d’investissement Andreessen Horowitz.
C'est à la fois fascinant, parce qu'on sent qu'on est dans un moment de bascule, et que ça va aller plus ou moins vite selon les pays. Il y aura des réticences importantes, il y aura des bagnoles cramées, des actes de vandalisme et des réticences politiques fortes, à juste titre. Mais il y aura d'autres endroits où on va essayer de faire du judo avec cette force et en tirer avantage. Et les avantages sont nombreux, on le voit bien.
Il y a aussi un côté hyper flippant de voir disparaître les humains de ces métiers. La notion de commun, plus que jamais, va avoir son importance. Prendre soin du commun va faire partie de plein d'enjeux concernant l’impact des véhicules autonomes, parce qu’il faut bien dire que les voitures autonomes et le développement de l'intelligence artificielle vont de pair. Et que leur impact combiné va être gigantesque.
On a donc vraiment intérêt à se parler, à conserver ces moments de concorde, de moments où on discute, ces moments où on n'est pas d'accord mais où on le dit gentiment, sans se mettre sur la gueule. Parce que quand vous êtes dans votre Waymo, vous êtes tout seul en fait.
Alors oui, c'est peut être plus sécure pour rentrer à 4 h du matin quand on est bourré, si vous avez un handicap, si vous êtes une personne isolée, si vous faites partie d’un minorité et que vous risquez de faire de mauvaises rencontres en soirée. Clairement, ce sera une vraie avancée. Mais pour tout le reste, il y a quand même beaucoup de questions sur cette faculté à continuer à avoir de la friction entre nous.
Parce que les grosses entreprises de la tech ont un moto depuis toujours: réduire la friction, réduire les barrières à l'entrée, réduire tout ce qui peut faire en sorte qu'un utilisateur ne rentre pas dans le tunnel de conversion, et finisse par payer, au bout du compte.
Plus j'avance et plus j'ai tendance à croire qu’on supprime en fait ce qui fait de nous que nous sommes des humains. Parce que la friction, c'est ce qui fait qu'on se rencontre, qu'on se parle, qu’on a ces moments d'échanges qui ont aussi du sens.
Alors oui, ça prend plus de temps et c'est parfois très frustrant d'avancer des arguments qui ne peuvent pas être entendus, des arguments factuels et de se voir opposer des opinions. Mais c'est ce qui fait qu'on est nous et qu'on cherche à se construire, et qu’en fin de compte la vie n'est pas un sprint ou le but est d'arriver au bout du chemin le plus vite possible.
Or la fluidification des transferts, de la mobilité, des livraisons, etc. est basée sur une seule chose: sur la connaissance de l'humain par ces entreprises de la tech. Nos app sont remplies de dark patterns, nos newsfeed nous aspirent et nous scotchent dans nos applis, accaparent notre attention et notre capacité à réfléchir.
L'accélération que nous sommes en train de vivre est exponentielle. On le vit depuis depuis le début des années 2000, c'est pas nouveau. Mais là, avec la connaissance que ces entreprises ont de nous à travers la data, les transports autonomes et l'intelligence artificielle qui se croisent et se rassemblent, c’est presque de la science fiction.
Nous sommes tellement prévisibles en fait. Et c'est ça qui est fou, c'est que normalement on devrait pas l'être. Normalement on devrait pas être prévisibles. On est des humains complètement imparfaits, on aime des choses, on déteste d'autres choses. En principe, on devrait être imprévisibles. C'est ça qui fait la beauté de l'humain et non pas le fait d'être complètement prévisible.
Si ces véhicules sont capables de conduire mieux qu'un humain, c'est parce qu'ils nous connaissent mieux que nous. ils ont une telle connaissance de nos comportements. On est tellement prévisibles.
Si Google s'est lancé dans cette aventure, c'est aussi parce qu'ils savent que dans nos bagnoles connectées autonomes, on sera encore plus sur notre pu*** de téléphone. Ils savent où on va, quand on y va, pour quoi faire ou acheter. Google et tous les autres.
Je me suis un peu amusé avec les lunettes connectées de Meta, ici aux US où l’IA est activée, parce que ce n'est pas encore le cas en Europe. Tu vas bientôt pouvoir recevoir des recommandations dans tes lunettes. Quand tu poseras des questions, c'est ta voix qui commandera ton téléphone. Et demain, tu auras de la réalité augmentée qui s'affichera directement sur les écrans de tes lunettes. Non plus comme avec Google Glass, comme il y a dix ans, mais dans tes oreilles, avec la voix et directement dans tes verres.
Et là, en captant le territoire comme elles le captent, les sociétés qui sont actives dans les transports autonomes aspirent en fait littéralement la réalité. Je ne suis pas défaitiste. Je pense au contraire qu'on a plus que jamais l'occasion de hacker la matrice et de leur faire comprendre que non, on n'est pas si prévisible que ça.
Parce que si ces entreprises technologiques sont capables de nous prédire comme ça, nos gouvernements aussi sont capables de nous prédire. Et il le faut probablement, jusqu’à un certain point, pour notre propre sécurité, pour notre propre organisation, pour faire en sorte qu’on soit capable de s'organiser, de prévenir et d'anticiper cette 2ème extinction des calèches en un peu moins d’un Siècle.
Gouverner c’est prévoir, paraît-il.
Alors allez-y, prévoyez. Et vite !
Nous sommes des compagnons de route
Nomades, nous développons des compétences techniques et stratégiques complémentaires, au service de nos clients et partenaires. Indépendants, nous nous agrégeons selon la nature et la temporalité des projets que nous initions et auxquels nous contribuons. Nous partageons des valeurs d’honnêteté intellectuelle, de transparence et de confiance mutuelle.
Pour aller plus loin, voici quelques liens sélectionnés par les participants lors du Study Tour organisé par Espaces-Mobilités, du 17 au 21 août 2024, à San Francisco
Les prochaines étapes de cette exploration sur la mobilité de demain auront lieu à Hambourg (Allemagne) en octobre 2024, à Oslo (Norvège) au printemps 2025 et en Chine, à l’été 2025. → Infos et inscriptions sur le site des Mobility Masterclass
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