Même son de cloche du côté de Damien Van Achter, consultant média et journaliste : "Par ailleurs, l’abonnement coûte assez cher, ce qui n’encourage pas le public à y souscrire. Et cela reste assez logique, parce que le modèle économique de Facebook est toujours et tout d’abord basé sur la publicité et les données personnelles."
C’était le 4 février 2004 : Marc Zuckerberg lançait "TheFacebook.com", avec trois autres étudiants d’Harvard. Quatre ans plus tard, Facebook franchissait le cap des 100 millions de membres inscrits. Aujourd’hui, le réseau social compte trois milliards d’utilisateurs à l’échelle mondiale. En vingt ans, son modèle économique n’a (presque) pas changé : au centre, toujours vos données personnelles et la publicité. Et ce, malgré le lancement d’un abonnement payant.
"Mon sentiment est que la proposition d’abonnement payant répond uniquement à une volonté de Meta (la maison mère de Facebook, ndlr) de se conformer aux règles européennes", analyse Paul Belleflamme, professeur d’économie à l’UCLouvain.
Même son de cloche du côté de Damien Van Achter, consultant média et journaliste : "Par ailleurs, l’abonnement coûte assez cher, ce qui n’encourage pas le public à y souscrire. Et cela reste assez logique, parce que le modèle économique de Facebook est toujours et tout d’abord basé sur la publicité et les données personnelles."
Un modèle économique vite rentable
Les deux experts sont unanimes : monétiser des données auprès des annonceurs, voilà la marque de fabrique de Facebook.
"Parmi les plateformes, il s’agit de celle qui a réussi à appliquer ce business model de manière plus efficace, et assez rapidement. Déjà entre 2006 et 2007, encore avant que les smartphones deviennent ceux que l’on connaît aujourd’hui, Facebook a réussi à monétiser à l’échelle planétaire des conversations sur une plateforme centralisée. Et ils ont réussi à convaincre les gens qu’il était acceptable de fournir ses données pour accéder gratuitement à un service", explique Damien Van Achter.
"Sans compter la nature des données personnelles : c’est là que se situe aussi la richesse des utilisateurs que Facebook exploite auprès des annonceurs", complète Paul Belleflamme.
Voici "TheFacebook", le tout premier Facebook lancé il y a tout juste 20 ans. © The Washington Post via Getty Im – The Washington Post
"Facebook fonctionne comme un vendeur de drogue"
Le principe est assez simple à comprendre : plus vous interagissez avec Facebook, plus la plateforme acquiert des informations sur vos goûts, vos centres d’intérêt et monétise ces données auprès des annonceurs.
En clair : Facebook promet à l’annonceur, sur base de ces données, de toucher le public qui est le plus susceptible d’être intéressé par le produit en question. "Et c’est en cela que le service est également intéressant pour les utilisateurs : s’ils doivent accepter de voir des publicités pour utiliser Facebook, autant qu’elles soient susceptibles de l’intéresser", analyse Paul Belleflamme.
Mais ce système s’est installé progressivement. "Au début, la home de Facebook n’était pas triée. Petit à petit, ils ont réussi à intégrer de la publicité contextualisée, d’abord très vague. Et dès qu’ils ont acquis un volume de données suffisant, ils ont personnalisé la navigation. Les pouces, les likes, les réactions n’ont servi qu’à raffiner le modèle de données pour la publicité", ajoute Damien Van Achter.
"Et ce deal, a été longtemps assez tacite. Facebook a joué de manière très borderline sur la vie privée des utilisateurs, réussissant à se procurer des données sans produire aucun contenu. A l’époque où les entreprises de presse se demandaient comment mettre en ligne un article en PDF, Facebook avait déjà un modèle économique rentable, et ce, sans rien produire", ajoute le consultant.
C’est d’ailleurs le scandale Cambridge Analytica qui a, pour la première fois, commencé à conscientiser les utilisateurs sur l’utilisation des données personnelles. Souvenez-vous, c’était en 2018 : l’entreprise britannique, qui travaillait pour la campagne présidentielle de Donald Trump, a été accusée d’avoir exploité les informations de 87 millions d’usagers de Facebook, à leur insu.
Et pourtant, le modèle résiste. "Facebook fonctionne comme un vendeur de drogue : le premier gramme est quasiment gratuit, donc pour 5 à 10 euros tu peux avoir un sponsor, sauf qu’une fois qu’on est dans l’engrenage, on est obligé de poursuivre, sinon l’algorithme ne va plus montrer ton contenu", éclaire Damien Van Achter.
A quoi faut-il s’attendre pour les vingt prochaines années ?
C’est là qu’interviennent d’ailleurs les nouvelles réglementations européennes, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA), même si à ce stade on n’a pas encore suffisamment de recul pour juger de leur efficacité.
Ce que l’on sait, c’est qu’elles souhaitent réguler le système. Et contrer les effets néfastes des réseaux sociaux sur la sphère politique et protéger les utilisateurs, notamment les plus jeunes.
Mais qui dit anniversaire, dit aussi bilan : et pour Facebook, le quatrième trimestre de 2023 a été plutôt bon, après une année 2022 compliquée. Meta, la maison mère de Facebook, Instagram et Whatsapp a en effet réalisé 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires au quatrième trimestre, et dégagé 14 milliards de bénéfices nets.
"Quatre facteurs ont contribué au redressement du groupe : les investissements dans l’IA pour améliorer les performances publicitaires, la demande accrue des annonceurs pour les Reels (courtes vidéos), les dépenses des annonceurs chinois (Shein, Temu_) et la croissance régulière du nombre d’utilisateurs mensuels des applications_", commente Debra Williamson, analyste indépendante à l’AFP.
Voilà qui montre que le marché des annonceurs va toujours bon train. Et qui laisse entrevoir une piste pour l’avenir de la boîte : le développement de l’IA.
L’IA rebat les cartes
Alors qu’à la fin de la pandémie Marc Zuckerberg avait tout misé sur le projet d’un monde virtuel, le métavers, l’idée a été mise un peu sur le côté.
"Ce n’est pas un échec. Je pense que le chantier n’est pas complètement abandonné, mais l’entreprise se concentre clairement sur l’IA et sur la manière de la monétiser", analyse Damien Van Achter.
En juillet 2023, Meta a d’ailleurs mis son modèle de langage Llama 2 en accès libre aux entreprises et aux chercheurs, alors que ses concurrents, Chat GPT et Bing, faisaient la une de l’actualité.
"Il n’est pas improbable que l’utilisation de l’IA aide à avancer sur le chantier du métavers et de la réalité augmentée, parce qu’il permet d’abaisser le seuil d’entrée sur le marché pour développer ces outils. Peut-être que l’IA va même accélérer la démocratisation du métaverse et de la réalité augmentée", commente Damien Van Achter.
Sans oublier que "Meta est, pour l’instant, tributaire de Google et d’Apple pour l’accès à ses services. On comprend donc que derrière la volonté de développer le métavers il y avait aussi ce besoin de passer par une autre plateforme, propre à Meta et pas à un autre géant du web", note Paul Belleflamme.
Pourtant, Reality Labs, la branche de Meta chargée de développer les outils et applications de réalité augmentée et virtuelle, a creusé ses pertes de 17%, à 16 milliards de dollars pendant l’année écoulée.