StreetPress c’est un média gratuit qui revendique l'indépendance journalistique. Mais c'est surtout des enquêtes coup de poing 💥.
Rencontre avec Johan Weisz, fondateur du média urbain qui nous parle de leur nouvel objectif : récolter 27.000 euros pour le 4 décembre 2020.
La rédaction de StreetPress relance son rapport d'impact annuel et revient sur sa démarche : une logique de dons gratuits des lecteur·rice·s pour continuer à faire vivre le media.
Focus sur un modèle économique mêlant brand content et soutien financier de l'audience, le tout en restant gratuit et en prônant l'indépendance journalistique.
A travers l'interview de Johan Weisz, fondateur de StreetPress, deux axes sont abordés : Comment ça marche 🔎 ? StreetPress, concrètement, c'est quoi ?
Entretien enregistré lors d’un meet-up en direct dans l’Open Newsroom le 9 novembre (rejoignez-nous pour participer aux prochaines rencontres !).
MODÈLE ÉCONOMIQUE DE DONS GRATUITS, BRAND CONTENT ET INDÉPENDANCE ÉDITORIALE : QUID ?
StreetPress fonctionne principalement avec deux pôles : le brand content (production pour des marques, ONGs, etc) et le soutien financier de son audience.
Pour Johan, le but serait que le financement des lecteur·rice·s prenne le dessus. D'où l'objectif des 27.000 euros pour le 4 décembre. 💬 "Sur StreetPress, tout est disponible gratuitement - et le restera ! Mais sans le soutien d’une partie de nos lecteur·rice·s, pas de StreetPress. C’est le modèle que nous avons choisi pour rester indépendant et accessible à toutes et tous, même celleux qui n’ont pas les moyens de souscrire un abonnement de presse" explique Johan Weisz. "Aujourd'hui, nous sommes à un peu plus de 2500 personnes qui soutiennent StreetPress (soit ponctuellement soit par des dons mensuels) et nous devons faire un saut et arriver au-delà des 3500 environ, d’ici la fin de l’année".
Je pense que c’est bien d’avoir un modèle économique qui repose sur plusieurs jambes en 2020, du moins lorsqu'on est dans une démarche de développer un projet éditorial comme celui de StreetPress. On constate que certains projets se cassent la gueule parce que leur modèle économique repose sur une seule jambe"
💶 Concrètement comment est utilisé l'argent ? 💶
Dans leur rapport d'impact présenté au public (feedback sur tout ce qui a été réalisé par StreetPress l'an dernier ), iels expliquent concrètement comment est utilisé l'argent :
(Pssssst : l'entièreté du rapport est à retrouver ici).
On n’est pas des militant·e·s, on ne fait pas de la politique mais sur StreetPress on va être plus vigilant·e·s sur certains sujets ou certaines thématiques. On a fait ce choix de l’assumer, de l’expliquer et de l’exprimer à notre audience".
Quid du brand content (productions pour des marques, ONGs, associations) et de l'indépendance journalistique que vous revendiquez ? 💡
"En fait sans la partie studio StreetPress (qui va produit pour des clients sans que le nom apparaisse sur leur support) sans ce revenu-là, le média n’existerait pas aujourd’hui. Sur l’année dernière, cette façon de travailler représentait la moitié du revenu. Le reste vient de nos lecteur·rice·s, des annonceurs, des partenariats, etc. Je pense que c’est cette partie studio qui nous a permis d’être là on est aujourd’hui, c’est-à-dire de ne pas être dépendant d’une audience ou d’aller chercher du clic pour du clic. Cela nous a permis d’avancer sereinement sur le modèle d’un média qui est très artisanal d’un point de vue éditorial. De nous faire avancer, pas à pas, sans être attendu·e·s chaque trismestre avec les annonceurs, les audiences à assurer ou le fait de produire pour avoir de l’audience. Si on avait comme objectif principal d’avoir de l’audience de manière récurrente, de faire des gros scores en termes de pages vues, et bien finalement on serait un autre média, on ne serait pas StreetPress. Et pour être StreetPress, il fallait prendre le temps de le devenir" poursuit Johan.
"J’aimerais bien produire plus de news « chaudes », qu’on fasse des lives, qu’on fasse plein de choses qui auraient plus de prise sur l’actualité et les évènements au quotidien. Sauf que ce n'est pas notre force à la base et surtout si on partait dans cette direction, cela voudrait dire qu'on oublie toutes les enquêtes de fond, or, en réalité c'est ça la force de StreetPress. Du coup en plus de ce lien avec notre communauté, le fait de produire pour une ONG, une marque ou une association, ça fait sens pour nous :
1️⃣ par rapport à nos valeurs, et puis
2️⃣ ça nous permet d’avoir une réelle indépendance sur ce dont on va parler à l’antenne".
On n’est pas dans une logique de prestation de services vis-à-vis de nos lecteur·rice·s, on ne leur vend rien en réalité : notre média est gratuit et notre boulot est sans échange marchand. On est vraiment dans une logique de dons gratuits. Donc, de notre point de vue, c’est important d’avoir cet équilibre : d’un côté les lecteur·rice·s, de l’autre la valeur ajoutée qu’on peut apporter à une ONG, à une association, à une marque etc. Je pense que c’est bien d’avoir un modèle économique qui repose sur plusieurs jambes en 2020, du moins lorsqu'on est dans une démarche de développer un projet éditorial comme celui de StreetPress. On constate que certains projets se cassent la gueule parce que leur modèle économique repose sur une seule jambe".
FOCUS SUR STREETPRESS : C'EST QUOI ?
Lancé il y a presque 10 ans, StreetPress se définit comme un média digital français d'information indépendant. Il se revendique antiraciste, féministe, écologiste, aux côtés des réfugiés et contre les violences policières, les droites radicales & l'info en continu. Des positions qui portent leurs fruits en termes d'audience (surtout chez la jeune génération: 72% de moins de 34 ans).
Focus sur le média : c'est quoi ? C'est qui ? Pour qui ?
StreetPress, média innovant 🆕 ⁉️
"Je dirai qu'au final, on est même l'inverse d'un média innovant : on est à l'ancienne, sur les bases du journalisme. Nos fondamentaux : les enquêtes, les documentaires vidéo, les reportages qui prennent du temps. C’est un concept intemporel. Et je pense que c’est une grosse force du journalisme : prendre le temps, enquêter,... C’est là que tu vas créer de la valeur informative. Je pense que c'est sur des bases saines comme ça que tu peux créer un vrai lien avec une communauté de lecteur·rice·s. Au final on n'a rien inventé, on est vraiment dans des fondamentaux qu’on travaille et sur lesquels on s’appuie pour avancer. Echanger avec le public ce n'est pas un nouveau truc, ça ne date pas des années 2000. Quand tu allais dans les gros journaux régionaux aux USA il y a 100 ans et bien, tu rentrais dans la tour, tu allais prendre ton café fumer ta clope ou ta pipe, tu lisais ton journal et tu croisais les journalistes, il y a avait un vrai lien entre les lecteur·rice·s et le journal" explique Johan.
➡️➡️ Créer du lien avec leur audience, c'est ce sur quoi mise le média : " Ce modèle de membership qu'on a lancé, l'idée qu'un média soit financé par son audience, on n’a rien inventé. Toute l’équipe de StreetPress (journalistes, community managers, JRI etc), on se bouge pour faire en sorte que nos lecteur·rice·s nous financent. Ce sont nos équipes qui vendent le journal, de par leur travail et ça nous ne l’avons pas non plus inventé. C’est pas d’un côté, les journalistes dans une tour d’ivoire qui écrivent, partent au bout du monde en reportage et puis de l’autre côté, des petites mains qui font vendre le journal". Un retour aux fondamentaux donc, mais avec des formes de narration, d'esthétique dans la vidéo adaptées à la société actuelle et en adéquation avec leur public.
StreetPress, média d'opinion 📣 📣 👀?
"Non pas du tout, il y a une vraie nuance: on est un média d’engagement. Mais un média qui, du coup, a des sujets sur lesquels il va être vigilant. On choisit volontairement de traiter des thématiques plus que d’autres parce qu’on ne peut pas tout traiter. (...) Je pense qu’il y a un vrai mouvement aujourd’hui à assumer ce regard-là et je pense que les citoyen·ne·s sont avides des médias qui assument leur regard. Chez StreetPress on assume le fait qu’on ait un regard qui fasse partie de la pluralité démocratique et je pense que les gens préfèrent avoir en face d’eux/elles des médias qui leur disent « voilà comment on traite l’info, voilà comment on se situe, voilà comment ça fonctionne, on n’est pas des militant·e·s, on ne fait pas de la politique mais sur StreetPress on va être plus vigilant·e·s sur tels ou tels sujets, telles thématiques etc ». On a fait ce choix de l’assumer, de l’expliquer et de l’exprimer à notre audience".
↪️ "Néanmoins, on n’est pas un média qui va choisir ce qu’il veut montrer ou pas, par rapport à un agenda politique ou à des causes. C’est vraiment toute la nuance avec des médias d’opinion qui parfois masquent une faiblesse journalistique par de l’opinion (par exemple comme Valeurs actuelles). Je pense aussi que c’est important de créer des débats, de proposer aussi à nos lecteur·rice·s des sujets auxquels iels ne s’attendent pas forcément, des sujets auxquels iels ne sont pas formaté·e·s en nous lisant, de les surprendre, quitte à ce que ça provoque peut-être parfois de l’étonnement ou de l’agacement. D’où l’idée et notre concept de relation non-marchande, de" membership", de rester gratuit tout en demandant des dons auprès de notre audience"
Comment définissez-vous les objectifs éditoriaux de StreetPress?
On se fixe deux règles : on sort article que s’il sert à quelque chose et que si personne ne l’a fait auparavant. Il n'y a pas une logique de remplissage ou exhaustive comme il peut y avoir dans d'autres médias plus traditionnels.
Pour être journaliste chez StreetPress, faut-il aussi avoir un état d’esprit un peu particulier ? Comment vous embauchez ? 🐣💬
"Oui tout à fait, au point que pendant 7, 8 ans, on a eu une école à l’intérieur de StreetPress qui s’appelait la StreetSchool et qui nous a permis aussi d’aller chercher des jeunes apprenti·e·s journalistes et de les former. Certain·e·s sont resté·e·s dans notre écosystème (en étant recruté·e·s ici). Donc effectivement, je pense qu’il y a une patte StreetPress, une manière de se former. En réalité : on va avoir tendance à faire rentrer dans l’équipe des profils plutôt junior. Je pense que quand tu postules et que tu travailles chez StreetPress, tu rejoins une manière d’écrire, une manière d’enquêter, de travailler distincte de celles d’autres médias digitaux, pure-players ou plus traditionnels. Et c’est important qu’il y ait cette identité-là. StreetPress ne se résume pas à un style d’écrire, c’est aussi une manière de bosser les sujets, de vérifier les infos, de passer du temps sur le terrain avec son stylo ou sa caméra. Je pense qu’il y a un contre-pied avec la formation traditionnelle des écoles de journalisme, du moins les choses sur lesquelles on va insister ne sont pas les mêmes. Aussi on est une petite rédaction (un dizaine de personnes) ".
Quid de vos enquêtes ? Comment ça se passe au quotidien ?
Le média est connu pour ses enquêtes coups de poing (extrême droite et pédophilie, précarité et discriminations au sein des prisons, insultes sexistes et racisme ordinaire au sein d'une brigade policière, etc).
"Toutes nos enquêtes comme, par exemple, l’enquête qu’on a sortie en parallèle avec Médiapart sur le harcèlement, le sexisme et la grossophobie chez Macdonald's, ce sont des enquêtes qui prennent plusieurs mois. Il ne faut pas se mentir. On est très souvent à la rédaction (hors Covid, évidemment) c’est un lieu où on se croise beaucoup, on ne reste pas forcément toute la journée et on croit vraiment au concept d’une rédac’ où les choses se disent, où il y a une sorte d’émulation, où l’on discute, on n’y reste pas très longtemps parce qu’après on va sur le terrain. C’est d’ailleurs là où le confinement est compliqué pour notre rédaction".
On essaie de sortir un sujet par jour quelque que soit la plateforme : vidéo youtube, article sur le site, un tweet, etc (en plus des plus grosses enquêtes, qui prennent souvent plusieurs mois). Cela arrive que parfois on n’y arrive pas parce qu’on se fixe deux règles : on sort article que s’il sert à quelque chose et que si personne ne l’a réalisé auparavant.
Souvent, lorsqu'un média a déjà fait un bon sujet, on le repartage. Par exemple, s’il y a un super portrait sur un autre média et bien, on le retweete, s’ils ont fait le job convenablement avant nous, ça ne sert à rien de s’y recoller. Il n'y a pas une logique remplissage ou exhaustive comme il peut y avoir dans d'autres médias plus traditionnels.
Enfin, je dirai que cela nous arrange bien parce qu’étant une dizaine de personnes à la rédaction, on peut faire un bon travail mais on ne peut pas viser l’exhaustivité."