Etienne Froment, responsable de Geeko, nous en dit un peu plus sur le premier site spécialisé en Belgique. Geeko, c’est le portail techno et hi-tech du Soir.be (Rossel). Aujourd’hui, la marque compte entre 600.000 et 800.000 visiteurs uniques par mois. Comment lier une marque à un groupe de presse tout en gardant son indépendance et déontologie journalistique ? Quid en termes d’audience et de mise en-œuvre du projet ? Comment survivre économiquement lorsqu’on bosse pour un média gratuit ? Marketing ou journalisme entrepreneurial ?
A l’occasion des 10 ans de Geeko (en septembre 2020), Etienne Froment revient sur son parcours et la gestion du média « geek » du quotidien généraliste Le Soir. Depuis sa création, les objectifs de la marque ont évolué (contenu plus qualitatif, plus jeune, etc) mais le modèle économique est resté gratuit. Il revient sur les enjeux, les évolutions & les nouveaux challenges éditoriaux.
Entretien enregistré lors d’un meet-up en direct dans l’Open Newsroom le 13 octobre (rejoignez-nous pour participer aux prochaines rencontres !). ➡️ Les grandes lignes de l'interview se trouvent ci-dessous, et pour celleux qui désirent tous les détails, ça se passe dans la vidéo 😁
🔍 T'es qui et Geeko, c'est quoi ?
"Je suis responsable de Geeko, c’est à mi-chemin entre rédacteur en chef d’une petite cellule (nous sommes 7 journalistes) et responsable du développement d’un site ou d’un média. C’est assez particulier comme statut. Geeko, c’est un des satellites, un des sites affiliés au journal le Soir (il y a également Références pour les offres d’emploi, CinéNews, Out, Génération et nous, Geeko Belgium Iphone). Aujourd’hui, on essaie de recentrer notre stratégie car par le passé, c’était un site techno’ qui était un peu l’alternative Androïd du Belgium Iphone. Nous avons élargit nos sujets à travers les années (startups, télécoms, jeux vidéos, jeux de société, etc). Nous nous sommes diversifiés pour toucher davantage de public. Nous avons aussi développé trois grands axes : un élargissement des thématiques "jeunes", un focus sur davantage de vidéo et de contenu multimédia et enfin un contenu vraiment anglé sur la Belgique (surtout startups / gaming)".
Ton parcours et pourquoi les nouvelles technologies ? 💻 📲 👾
"Après mes études en relations publiques, puis en Management en Ecosse et enfin mon master en journalisme en Angleterre, je suis rentré en Belgique. La différence dans le traitement journalistique m’a frappé. Le modèle anglo-saxon est beaucoup moins factuel et axé sur la vérification des sources et de certaines règles déontologiques. Je suis donc un peu arrivé comme un cheveux dans le soupe sur le marché de l’emploi, je ne connaissais plus trop le paysage médiatique belge. J’ai commencé un stage chez ROSSEL (une semaine). Ca peut paraître peu, mais ça m’a permis de rencontrer les bonnes personnes au bon moment et de commencer à travailler directement dans le tech’, car oui je m’intéressais déjà aux nouvelles technologies. Je n’étais pas le « geek ultime » à l’époque, mais ça m’intéressait et j’avais vraiment envie de partir dans cette voie-là. J’ai travaillé 7 ans en tant qu’indépendant (aussi pour d’autres médias) et ici cela fait trois ans que je suis employé chez ROSSEL".
Si on estime que ce n’est pas un produit de qualité, on ne le vend pas comme tel dans nos articles. (...) On ne met pas des gants. Des marques l’acceptent, d’autres pas (on est blacklisté par une ou deux marques) mais nous n’avons pas honte de ça, que du contraire.
Rossel c’est l’éditeur et l’employeur direct du Soir. Geeko est une marque à part entière. Comment se passe le développement du projet et la collab’ ? 🤝
"Il faut savoir qu’il y a 10 ans le Soir a lancé toute une série de blogs, parce que les blogs étaient à la mode à l’époque (Geeko Belgium Iphone, Demain la terre, etc). Beaucoup se sont arrêtés car ce n’est pas évident de garder des projets comme ça sur le long terme parce que c’est de la niche aussi, à la base. Pour faire survivre ces projets-là, il faut des personnes à temps plein, il faut des personnes qui s’emparent du produit et qui le maintiennent à flot pendant les années, qui en font leur passion et gagne-pain. Et c’est un peu comme ça que je vois Geeko : une marque que j’ai aidé à développer et que maintenant j’ai vraiment entre les mains. Aujourd’hui je travaille avec Rossel et des partenaires à droite à gauche".
Marque et indépendance éditoriale, c'est possible ?
Justement, quid en termes d’indépendance éditoriale ? 🆓⁉️
"Nous avons une certaine autonomie, mais oui, nous sommes affiliés au Soir. D’ailleurs notre URL le rappelle constamment (geeko.lesoir.be), nos articles sont repris en Homepage du Soir, etc. Donc, il y a du trafic qui provient du lectorat du Soir (5 à 10% pour Geeko). Ce qui nous a aidé dans un premier temps à vraiment bien développer le site. (…) Le reste c’est notre audience et elle serait là aussi aujourd’hui si notre média n’avait pas fait partie des « business unit » du Soir. Et ça c’est quand même exceptionnel parce que ça permet à cette marque Geeko de subsister, d’être autonome, tout en respectant la ligne éditoriale du Soir et toute une série de principes déontologiques et journalistiques".
« Geeko Belgium Iphone », ça ne porte pas à confusion ? Est-ce perçu comme un positionnement journalistique un peu borderline avec les marques ? 🤔🍏
"Alors, ce qu’il faut savoir c’est que nous sommes 7 journalistes de formation dans l’équipe(2 femmes et 5 hommes). Avant ce n’était pas le cas, on engageait aussi des personnes non-journalistes, car ce n’est pas évident de trouver des journalistes qui sont spécialisés en tech’. Aujourd’hui, même si nous sommes un format gratuit, on essaie de fournir du qualitatif. Par rapport à d’autres blogs indépendants français ou anglophones axés sur la tech’, Geeko a beaucoup plus cette approche journalistique et est beaucoup moins borderline avec les marques. Par exemple, on a le blog « Belgium Iphone » (qui représente aussi une partie du trafic de Geeko) qui est concentré exclusivement sur la marque Apple. Et du coup, on a souvent des remarques des lecteurs du Soir qui ne comprennent pas trop bien ce positionnement en se demandant si c’est un partenariat et en fait, pas du tout. Il faut savoir qu’Apple en Belgique est inexistant. Aucun journaliste du pays ne reçoit un appareil gratuit en test d’Apple, n’est invité à une conférence de presse Apple. Ca n’existe pas en Belgique. Apple nous a rayé de la carte. Cela arrive aussi qu’il y ait quelques accros avec d'autres marques qui ne sont pas contentes de nos critiques. Nous sommes assez fiers/fières de cela, car si on estime que ce n’est pas un produit de qualité, on ne le vend pas comme tel dans nos articles. Question de transparence avec les lecteurs. Beaucoup d’autres blogs ont tendance à être plus softs dans leur critique. De notre côté on ne met pas des gants. Des marques l’acceptent, d’autres pas (on est blacklisté par une ou deux marques) mais nous n’avons pas honte de ça, que du contraire."
Gratuit & qualitatif, combo faisable ?
"Même si nous sommes un média gratuit, on met un point d’honneur au qualitatif. C’est non seulement plus attractif et pertinent pour les annonceurs, mais aussi pour les lecteurs. Nous avons totalement changé notre méthode à ce niveau-là, par rapport à il y a quelques années, où nous rédigions beaucoup d’articles pour faire plus de page views, c’était un fonctionnement différent. Aujourd’hui on n’hésite pas à écrire des plus longs formats, plus qualitatifs, d’analyse quitte à ce qu’on ne publie que deux articles sur la journée en les creusant à fond. Par exemple, on a lancé les dossiers de la rédaction et on a une démarche très différente car lorsqu'on parle d'un produit, c'est un vrai découpage : c'est quoi ? qui ? quelles marques ? On interviewe des experts, on se renseigne sur les chiffres, les stats, on teste aussi. Aujourd'hui, on réalise trois tests par produits et non plus séparément comme c'était le cas avant. Ca nous permet de se détacher du côté branding et journalistiquement c’est plus intéressant. Voilà, ces dossiers là, je les considère un peu comme un double-page dans un journal papier. C’est un découpage".
👀👀 Qui dit média gratuit, dit propre régie publicitaire. Maintenant que vous avez votre propre audience, ce serait possible de bosser sans ROSSEL ?
"C’est très particulier et je pense que ce serait très difficile. Parce que Geeko pour arriver là où il est aujourd’hui, il lui aura fallu 10 ans et ce avec le soutien du Soir et avec beaucoup de budget par an. Durant les premières années ça été énormément de travail, des horaires de dingue (9h-23h), je ne vais pas le cacher. Bernard Marchant ( CEO de Rossel) le dirait "c’est du journalisme presque entrepreneurial". (…) Et donc, oui, vu que nous sommes un média gratuit, d’office nous essayons de mettre de la visibilité dans la publicité, mais d’un autre côté, nous essayons au maximum de bien faire notre boulot de journaliste pour nos lecteurs.trices et de faire en sorte que ça soutienne aussi une certaine activité économique, une certaine activité d’entrepreneuriat belge."
Le côté entrepreneurial c’est se dire : "ça, ça marche, on va donc y attribuer un budget plus important"
L’angle belge, le point fort de Geeko ? 🇧🇪
"Ce qu’il ne faut pas non plus oublier c’est que les principaux concurrents de Geeko, ce sont des sites français avec des moyens beaucoup plus conséquents que les nôtres, on ne va pas se le cacher. A temps plein pour Geeko, on a l’équivalent de 3 personnes, pour un site français, c’est 15, 20 personnes. On ne sait pas « lutter contre eux » mais on fait notre possible justement avec l’angle belge. On va parler de startups belges, d’initiatives belges, de jeux vidéo belges, etc. Des choses qu’on ne lit pas ailleurs et je suis persuadé que cet angle belge est profitable pour les lecteurs, mais aussi pour un pan spécifique de l’économie belge. Pour moi c’est très important de soutenir ce créneau de startups, tech’,… en Belgique, parce que par rapport à d’autres pays voisins, on a toujours été un peu retard."
Journalisme entrepreneurial = marketing ?
💰💸💹 Tu parles de journalisme entrepreneurial, ça veut dire que tu gères aussi tout ce qui est marketing et modèle économique de ton média ?
"Non, on applique exactement la même chose qu’avec la rédaction. C’est-à-dire que c’est la régie qui gère tout ça de son côté. Personnellement, je n’ai rien avoir avec ça. Je suis comme la rédaction du Soir. D’ailleurs on a toujours les mêmes règles qui sont en place. Peut-être que des blogs un peu plus « amateurs » y ont recours, mais dans le monde journalistique, c’est un peu plus compliqué et borderline de partir dans ces discussions avec la régie. (…) Quand je parle de journalisme d’entrepreneuriat, c’est-à-dire prendre en main le projet, évidemment nous avons des discussions avec la régie (par exemple sur l’espace publicitaire à louer), mais on va toujours vouloir mettre le contenu en avant plutôt que le côté commercial. (…) Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on va plutôt soutenir le projet d’un point vue de marketing éditorial. C’est une réflexion qui est aussi présente je pense, dans d’autres médias et groupes de presse.
↪️ C’est-à-dire qu’on va mettre davantage en avant les nouveautés sur le site, davantage notre présence sur les réseaux sociaux. En plus de Facebook et Twitter, maintenant on débarque un peu partout : sur Instagram, on va bientôt se lancer sur Tik Tok. Cette démarche, c’est vraiment quelque chose de nouveau dans le monde journalistique, je vous mets au défi de trouver beaucoup de médias belges qui sont sur Tik Tok. D’ailleurs, même nous, nous avons dû faire pas mal de réunions, brainstorming etc, ce n’est pas évident. Et c’est cette approche- là qui de mon côté est un peu plus entrepreneurial parce qu’on peut vraiment venir avec des idées nouvelles en termes de journalisme (nouveaux formats, nouveaux contenus, etc). Qui dit nouveau format, dit aussi nouveau profil (on a recruté, un Youtubeur à la base, donc une personne qui sait monter et qui sait communiquer avec ces nouveaux canaux, qui sait s’adresser aussi aux jeunes) et donc nouveau budget. Et je pense que ça marche, car on est en moyenne par mois, sur 300.000 vues par mois au niveau des vidéos. C’est une belle progression, on a commencé on était à 20.000, 30.000. Et justement, le côté entrepreneurial c’est se dire «ça, ça marche, on va donc y attribuer un budget plus important".
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Qui dit média Hi-Tech dit public Hi-tech ?
📊📊 Quid en termes d’audience ?
"C’est surtout une audience concentrée chez les 18-35 ans. Par le passé, nos statistiques ont montré que c’était des personnes assez cultivées, qui sont scolarisées (Hautes écoles, Universités etc). Elle s’intéressent à l’entrepreneuriat. On aussi constaté que ce sont des lecteurs.trices qui consultent notre site depuis leur smartphone/mobile (70%). On n’a pas mal d’utilisateurs/trices qui proviennent des réseaux sociaux et qui font du one-shot (c’est-à-dire qui ouvrent leur page, qui lisent l’article et puis qui quittent le site)".
Un lectorat de plus en plus féminin (♀️: 31% & ♂️: 69%)
"C’est assez unique pour un site Hi-tech, ça sort des clichés que peuvent avoir ce type de sites (on sait que dans les nouvelles technos', les femmes sont encore malheureusement très peu présentes). D’ailleurs, on a décidé de réagir à cela, par le passe il n’y avait pas de rédactrice dans l’équipe et on a décidé de soutenir cette présence féminine. Des femmes ce sont spécialisées. D’ailleurs, la thématique "startups" est gérée par notre journaliste Charlotte. En termes de gender-balance c’est chouette de voir cette évolution, car c’était indispensable d’évoluer à ce niveau-là dans les rédactions".
Ce qui me plaît chez Geeko c’est ce côté gratuit. Geeko, il s’adresse aux jeunes qui ne vont pas forcément se souscrire à une formule payante
📣🗣️💬 Vous communiquez comment avec votre audience ?
"Geeko c’est entre 600.000 à 800.000 visiteurs uniques par mois, nous sommes une petite équipe et notre métier est avant tout d’être journaliste. On privilégie donc l’ajout de contenu. Le côté social c’est le point sur lequel on était un peu moins bons ces dernières années (alors que Belgium Iphone, à la base, qui était un forum) était très populaire par le passé. (…) C’est vrai qu’on aurait besoin d’un community manager à temps plein, mais malheureusement pour le moment on n’a pas le buget ! Aussi, c’est le/la journaliste qui gère toutes les démarches réseaux sociaux de son article (posts sur Facebook, Twitter story Instagram etc). Mais on planche sur des solutions pour remédier à cela : nous sommes en pleine démarche de refonte du site :
- Repenser le site dans son interface + ajout de fonctionnalités Geek
- Repenser le volet social : être présents sur Tik Tok, amélioration de l’Instagram, faire des lives/directs pour interagir avec le public, sur du streaming. Mais ça prend du temps à mettre en place et le Covid nous a un peu ralenti à ce niveau-là".
Le Coronavirus : accélérateur ou frein pour Geeko ?
⛔⛔ "Il a a ralenti quelques projets multimédias (plus difficile de partir à la rencontre de personnes, ou de faire des reportages à l’étranger). En Belgique, il y a toujours moyen mais on le fait beaucoup moins, car il y a moins de conférence de presse, il y a plus d’entrepreneur.e.s qui préférent les appels vidéo, ce qui est logique au vu des conditions sanitaires".
✅✅ "D’un autre côté, cela a accéléré notre côté « remote ». On travaille plus ou moins toutes et tous en télétravail. En plus, on a toujours travaillé comme ça, puisque l’équipe est principalement constituée de journaliste indépendants. Je pense que chez Rossel, nous sommes un des seuls médias d’ailleurs qui n’a pas été impacté négativement par le Covid à ce niveau-là. En effet, nous n’avons jamais bossé par horaire, le 9-17h chez nous, ça n’existe pas. On ne compte pas nos heures, c’est vraiment une passion. C’est sûr que si je compte mes heures, j’explose le quota fin de semaine".
Un modèle payant, c'est envisageable ?
💳💳 Est-ce qu’un jour vous envisager un Geeko payant (comme c’est le cas pour certains articles du Soir) ?
"Non, on y a réfléchi, on a beaucoup discuté. Ce qui me plaît chez Geeko c’est ce côté gratuit. Geeko, il s’adresse aux jeunes qui ne vont pas forcément se souscrire à une formule payante même si certains modèles sont plus accesibles (par exemple au Soir c’était à 30 euros, aujourd’hui, il existe des modèles à 10 euros). Mais, je pense qu’il y a encore une partie de la population qui ne va pas dépenser pour accéder à l’information. (…) Le problème c’est aussi la marque : même si nous appartenons au Soir, nous sommes Geeko, ce serait compliqué d’avoir un abonnement qui serait différent de celui du Soir. Ce serait une redistribution des revenus, aucune idée de comment ça pourrait fonctionner. Si jamais un jour, on décidait de passer le cap vers un média payant, ce serait via un nouveau format plutôt que via ce qui existe déjà. Enfin, ce modèle gratuit pour Geeko est rentable et ça l’est depuis des années. Et c’est pour moi, un message qui est très positif."
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