"Trop de sujets répétitifs sur des thèmes que les journalistes considèrent essentiels, comme la politique ou la pandémie de Covid-19 (43 % des répondants), l’effet négatif que les informations ont sur l’humeur (36 %), l’impression d’être submergé par des flots d’actualités (29 %), la certitude que les médias ne sont pas dignes de confiance (29 %), la crainte de créer des disputes (17 %), le sentiment d’impuissance face à des nouvelles déprimantes (16 %) ou encore la difficulté — surtout pour les jeunes — à se saisir des enjeux de l’actualité (8 %). La plupart du temps, ces derniers accèdent à l’information de façon fragmentée, en assistant à des discussions dans le cercle proche et en se rendant sur leurs réseaux sociaux. Ce qui ne leur permet pas de bénéficier du contexte systématiquement posé dans la narration linéaire des articles de presse. D’où l’intérêt pour les médias d’explorer de nouveaux moyens de toucher leur audience : via des formats vidéos explicatifs ou des sessions questions-réponses sur les réseaux sociaux, suggère le rapport."
Le Reuters Institute for the Study of Journalism publie, ce 15 juin, son rapport annuel sur la consommation de l’information dans le monde. Cette enquête de référence, réalisée à la fin du mois de janvier 2022 dans quarante-six pays, dresse un panorama du rapport à l’information et aux médias. Y figurent également cette année des recherches menées au mois d’avril sur la réception de l’information dans le contexte de guerre en Ukraine. Voici cinq points clés à retenir de cette étude.
1. Les publics évitent de plus en plus l’information
C’est le principal constat du rapport. Guerre en Ukraine, pandémie de Covid-19, crise du climat… Si le contexte rend plus nécessaire que jamais de disposer d’informations fiables et vérifiées, l’évitement des publics vis-à-vis des médias n’a jamais été aussi haut.
Plus qu’un désengagement total des médias, le rapport met en évidence l’évitement sélectif global de l’information. La proportion de population déclarant éviter activement les informations, de temps en temps ou régulièrement a explosé. Au Brésil, ils sont désormais 54 %, soit le double d’il y a cinq ans. En France nous sommes passés de 29 % à 36 % — 8 % déclarent ne pas avoir consulté de sources professionnelles d’informations au cours de la semaine précédente.
Face à l'actualité anxiogène, les publics sont de plus en plus nombreux à éviter les informations. Crédits : Reuters Institute
Les raisons ? Trop de sujets répétitifs sur des thèmes que les journalistes considèrent essentiels, comme la politique ou la pandémie de Covid-19 (43 % des répondants), l’effet négatif que les informations ont sur l’humeur (36 %), l’impression d’être submergé par des flots d’actualités (29 %), la certitude que les médias ne sont pas dignes de confiance (29 %), la crainte de créer des disputes (17 %), le sentiment d’impuissance face à des nouvelles déprimantes (16 %) ou encore la difficulté — surtout pour les jeunes — à se saisir des enjeux de l’actualité (8 %).
La plupart du temps, ces derniers accèdent à l’information de façon fragmentée, en assistant à des discussions dans le cercle proche et en se rendant sur leurs réseaux sociaux. Ce qui ne leur permet pas de bénéficier du contexte systématiquement posé dans la narration linéaire des articles de presse. D’où l’intérêt pour les médias d’explorer de nouveaux moyens de toucher leur audience : via des formats vidéos explicatifs ou des sessions questions-réponses sur les réseaux sociaux, suggère le rapport.
2. La confiance est à nouveau en baisse
Après un rebond positif l’année dernière, la confiance a baissé dans 21 des 46 pays étudiés par le rapport. Les États-Unis possèdent le taux de confiance le plus faible (26 %) de l’enquête. La France se classe quant à elle 41e, avec un taux de confiance à 29 % qui bénéficie majoritairement à la presse quotidienne régionale et à France Télévisions.
L’indifférence et l’idée que les médias seraient sous influence politique sont deux des principales raisons de cette défiance. Le niveau global de confiance reste cependant plus élevé qu’avant la pandémie, qui a par ailleurs renforcé pour de nombreuses personnes le besoin de disposer de médias fiables.
Les pays où la confiance baisse sont aussi ceux où l'on constate les taux les plus élevés d'évitement sélectif des informations. Crédits : Reuters Institute
Au fil des années, le rapport a démontré que les médias publics sont les plus cités comme sources d’informations dignes de confiance. Pourtant, tous subissent de fortes pressions liées à la baisse de leurs financements, la remise en question de leur impartialité ou leur difficulté à toucher les jeunes.
Malgré une audience record au début de la crise en Ukraine, la BBC est de plus en plus critiquée pour son traitement des questions de genre, de race, ou de la vaccination contre le Covid-19. La confiance envers la BBC a ainsi chuté de 20 points en cinq ans (55 % contre 75 % en 2018). La défiance vient à la fois de la droite politique et des personnes qui s’intéressent le moins à l’actualité.
Malgré une confiance globale en baisse, le public souligne la capacité des médias à informer sur le conflit russo-ukrainien. Près de la moitié ou plus des sondés dans les cinq pays interrogés à ce sujet estiment que les médias ont effectué un bon travail. Un point faible ? L’absence d’une contextualisation plus large sur les tenants et aboutissants du conflit.
3. Chez les jeunes, les réseaux sociaux détrônent la presse en ligne
Les réseaux sociaux sont désormais la source principale d’informations des jeunes (39%), juste devant la presse en ligne (34%). Chez les 18-24 ans, l’usage de Twitter à titre informationnel est en déclin cette année. De son côté, Facebook stagne, pour la première fois dépassé par Instagram, en croissance régulière depuis cinq ans. TikTok connaît quant à lui un boom : son utilisation dans une démarche d’information a été multipliée par cinq en seulement trois ans, passant de 3% en 2019 à 15% en 2022.
Les plateformes permettant de regarder l'information plutôt que de la lire sont les plus populaires chez les jeunes. Crédits : Reuters Institute
Les jeunes décrivent TikTok et Instagram comme des réseaux sur lesquels ils trouvent des informations qui semblent à la fois plus informelles, plus diverses et plus personnalisées qu’à la télévision. « Un journaliste TV qui a aussi une page TikTok nous tient régulièrement au courant de l’évolution d’une situation. Je trouve cela plus réconfortant et plus intime que de regarder les informations à la télévision », témoigne une jeune Britannique de vingt-deux ans.
Le conflit ukrainien a permis à la plateforme d’asseoir sa légitimité en tant que source d’information avec des témoignages quotidiens de réfugiés ukrainiens documentant la guerre. « Quand TikTok s’est lancé, il n’y avait que de la danse. Ce n’est plus le cas. Même si les vidéos sont rapides, elles transmettent de l’information immédiate », explique un Brésilien de 24 ans. En France, les formats vidéos « explainer » fonctionnent particulièrement bien sur la plateforme. Mais tous les jeunes ne s’informent pas exclusivement via TikTok. Sur des sujets graves, ils continuent de se tourner vers des médias traditionnels comme la télévision ou la presse en ligne pour leur ton sérieux et impartial. Et si le fait de « regarder » l’information plutôt que de la lire est considéré comme plus facile (42 %), 58 % des moins de 35 ans préfèrent encore lire des infos plutôt que de les regarder en vidéo.
4. Bilan en demi-teinte pour les abonnements, dons et systèmes de membership
Ces dernières années, les éditeurs ont mis un point d’honneur à convaincre leurs audiences de payer pour du contenu journalistique. Le bilan 2022 est globalement positif pour les pays les plus riches. En Norvège, 41 % de la population a payé pour accéder aux contenus de médias en ligne cette année, dont plus de la moitié pour des titres locaux ou régionaux. Aux États-Unis, ce taux descend à 19 %, avec des abonnements majoritairement souscris auprès du New York Times, du Washington Post et du Wall Street Journal. En France, ce taux est de 11 %.
L’âge moyen de ceux qui paient pour consommer de l’information étant de 47 ans, le prochain défi sera de convaincre les plus jeunes de payer. Ayant grandi avec une majorité de ressources en ligne accessibles librement, ceux-ci restent nombreux à considérer que l’information devrait être gratuite.
Le taux d'abonnement augmente fortement dans les pays les plus riches. Crédits : Reuters Institute
Le public s’abonne la plupart du temps à un seul et unique média. Seuls les Américains et les Australiens se montrent plus enclins à payer pour plusieurs publications. Les deuxièmes choix se portent pour la plupart sur des magazines politiques et culturels, comme The Atlantic ou The New Yorker, ou sur des titres liés au sport.
5. Le public ne paie pas encore pour lire des newsletters
Les newsletters informatives restent plébiscitées par les publics les plus âgés et les plus éduqués, malgré une légère baisse cette année en raison de la concurrence des réseaux sociaux et des notifications « push » sur les téléphones portables. 17 % de la population interrogée lit chaque semaine au moins une newsletter d’informations. Ce taux grimpe jusqu’à 24 % en Autriche, 23 % en Belgique et 22 % aux États-Unis et au Portugal. En France, il est de 16 %.
Plus de la moitié des convertis reçoivent des newsletters d’actualités issues des médias de masse. Viennent ensuite les sources d’information alternatives (27 %), les newsletters issues de médias spécialisés utiles pour le travail (23 %) et celles de journalistes indépendants (16 %).
Le format pratique et facile d'accès des newsletters est très apprécié de ses adeptes. Crédits : Reuters Institute
Cette année, nombreux sont les journalistes à avoir profité de services comme Substack ou Patreon pour faire en sorte de rentabiliser leurs newsletters ou podcasts personnels. Le nombre d’abonnés gagnés via ces plateformes reste modeste. Le phénomène reste cantonné aux États-Unis, où 7 % de celles et ceux qui possèdent des abonnements paient pour la newsletter d’un ou plusieurs journalistes. En France, ils ne sont que 2 %.
Les newsletters qui s’en sortent le mieux sont celles qui offrent des contenus pratiques et/ou spécialisés avec des points de vue uniques, le tout agrémenté de touches personnelles venant du journaliste lui-même. C’est le cas du « Weekly Dish » du journaliste américain Andrew Sullivan sur Substack, des newsletters locales du groupe Axios, du « Morning Briefing » du New York Times et des formats type « 5 infos à retenir aujourd’hui » expérimentés par la BBC et CNN.