Le Manifeste des Evidences est un petit peu la bible du “nouveau web”. Ecrit en 1999 (!?) par Rick Levine, Christopher Locke, Doc Searls, and David Weinberger, il livre les clés fondamentales pour comprendre les changements de mentalité que le web provoque, de gré ou de force, dans le monde de l’entreprise et du domaine marchand.
En mai 2007, je m’étais amusé à l’adapter en français à la politique. Suivant l’idée de Amy Gahran (Poynter), en voici l’adaption appliquée aux médias traditionnels et aux changements à marche forcée que ce secteur connaît aujourd’hui. N’hésitez pas à me suggérer vos améliorations.
Audience connectées …Les audiences connectées commencent à s’organiser plus vite que les médias traditionnels communiquant « à sens unique » qui les ont traditionnellement ciblés. Grâce au web, ces audiences deviennent mieux informées, plus intelligentes et plus demandeuses en qualités qui font défaut à la plupart des médias traditionnels « à sens unique ».… Les habitants de la TerreLe ciel s’ouvre sur les étoiles. Les nuages passent au dessus de nous, jour et nuit. Les marées montent et descendent. Quoi que vous ayez pu entendre, ceci est notre monde, notre lieu d’être. Quoi qu’on ait pu vous dire, nos drapeaux volent librement au vent. Notre coeur bat à jamais. Habitants de la Terre, souvenez vous en.95 Thèses
- 1. Les audiences sont des conversations
- 2. Les audiences sont constitués d’êtres humains, non de secteurs démographiques.
- 3. Les conversations entre humains sonnent de façon humaine. Elles sont menées sur un ton humain.
- 4. Que ce soit pour discuter d’information, d’opinions, de perspectives, d’arguments opposés ou humoristiques, la voix humaine est typiquement ouverte, normale, et naturelle.
- 5. Les gens se reconnaissent entre eux grâce au son même d’une telle voix.6. L’Internet permet des conversations entre êtres humains qui étaient tout simplement impossibles à l’ère des masse-média.7. Les hyperliens renversent la hiérarchie.8. Au sein des audiences interconnectées, et des individus intraconnectés, les gens se parlent entre eux d’une puissante nouvelle façon.9. Ces conversations en réseau permettent à de puissantes nouvelles formes d’organisation sociale et d’échange de connaissance, d’émerger.10. Résultat, les individus deviennent plus intelligents, plus informés, plus organisés. La participation à une audience en réseau change des gens fondamentalement.11. Les individus en réseau ont compris qu’ils obtiennent des informations et une aide bien meilleures, les uns des autres que de la part des médias traditionnels « à sens unique ».12. Il n’y a pas de secrets. Les individus connectés en savent plus que les médias traditionnels sur ce qui fait l’actualité. Et que ce qu’ils découvrent soit bon ou mauvais, ils le répètent à tout le monde.13. Ce qui arrive au sein des audiences se passe également parmi les journalistes. Une construction métaphysique appelée “le media” est la seule chose qui les sépare.14. Les médias « à sens unique » ne parlent pas dans la même langue que ces nouvelles conversations en réseau. Pour leurs audiences en ligne, les médias « à sens unique » sonnent creux, plat et littéralement inhumain.15. Dans quelques années à peine, l’actuelle voix homogène des médias « à sens unique » – le son des JT, des journaux et des magazines papiers – semblera aussi forcée et artificielle que le langage du 18ème siècle à la cour de France.16. Déjà, les journalistes maniant boniment et charlatanisme, ne parlent plus à personne.17. Les médias traditionnels qui supposent que les individus en ligne sont les mêmes que ceux qui regardaient sans sourciller leurs auto-promos, se moquent d’elles-mêmes.18.Les médias « à sens unique » qui ne réalisent pas que leurs audiences sont désormais un réseau d’individus à individus, plus intelligents par conséquence et très impliqués dans un dialogue, passent à côté de leur meilleure chance.19.Les médias peuvent maintenant communiquer « à double sens » avec leurs audiences. Si ils passent à côté, cela pourrait être leur dernière chance.20. Les médias traditionnels doivent réaliser que leurs audiences rient beaucoup. D’eux.21. Les médias traditionnels devraient se détendre et se prendre un peu moins au sérieux. Ils ont besoin d’un sens de l’humour.22. Avoir le sens de l’humour ne signifie pas mettre des blagues ou des femmes à poil sur leurs sites web. A l’inverse, cela implique de grandes qualités, un peu d’humilité, du franc parler, et un véritable point de vue.23. Les médias traditionnels essayant de se positionner devraient avoir un positionnement. Dans l’idéal, il correspond à quelque chose qui intéresse vraiment leurs audiences.24. Les fanfaronnades ampoulées du genre “nous sommes en position pour devenir le principal fournisseur d’infromations de XYZ” ne constituent pas un positionnement.25. Les médias traditionnels doivent descendre de leurs tours d’ivoire et parler avec les personnes avec lesquelles elles espèrent instaurer une relation.26. Les relations publiques ne parlent pas au public. Les médias traditionnels ont profondément peur de leurs audiences.27.En s’exprimant dans un langage qui est distant, peu attrayant, arrogant, ils bâtissent des murs pour maintenir à distance leurs audiences.28. La majorité des programmes radio/télévisés sont fondés sur la crainte que leurs audiences puissent voir ce qui se passe réellement à l’intérieur de la rédaction.29. Elvis le dit le mieux :”Nous ne pourrons pas continuer avec un esprit soupçonneux”30. La fidélité médiatique est la version politique de rester comme un poireau dans son divan, mais la rupture est inévitable – et arrive vite. Parce qu’elles sont connectées, les audiences sont capables de réévaluer une relation en un clin d’oeil.31. Les audiences en réseau peuvent changer de sujets d’intérêt du jour au lendemain. Les individus en réseau peuvent changer de fournisseurs d’informations 100 fois en 24h (plus encore si ils utilisent des agrégateurs). Vos propres conduites nous ont enseignés à nous poser la question : “la loyauté ? c’est quoi déjà ?”32. Les audiences futées trouveront les journalistes connectés qui parlent leur propre langue.33. Apprendre à parler d’une voie humaine n’est pas un truc de parloir. Cela ne s’apprend pas sur les bancs de l’université.34. Pour parler avec une voix humaine, les médias doivent partager les centres d’intérêts de leurs communautés.35. Mais avant tout, ils doivent appartenir à une communauté.36. Les médias traditionnels doivent se demander où s’arrêtent leur culture interne.37. Si elle s’arrête avant que la communauté commence, elles n’auront aucune audience.38. Les communautés humaines sont basées sur le dialogue- sur des dialogues humains concernant des préoccupations humaines.39. La communauté du dialogue est l’audience.40. Les médias traditionnels qui n’appartiennent pas à une communauté du dialogue sont condamnés.41. Les médias traditionnels font un culte de la « qualité de l’information », mais c’est pour brouiller les pistes. La plupart se protègent moins de leurs concurrents que de leur propres audiences.42. De même que dans les communautés en réseau, les gens parlent également entre eux directement à l’intérieur des médias traditionnels — et pas uniquement à propos des règles et régulations, des directives de la rédaction en chef et des scores médiamétrie.43. De telles conversations ont lieu aujourd’hui sur les intranets des rédactions. Mais seulement quand les conditions sont réunies.44. Les médias traditionnels installent généralement des intranets de haut en bas pour diffuser des consignes et autres informations internes que les journalistes font de leur mieux pour ignorer.45. Les intranets ont naturellement tendance à devenir barbants. Les meilleurs sont construits de la base vers le haut, par des individus motivés, coopérant dans le but de construire quelque chose avec plus de valeur.46. Un Intranet sain organise la couverture médiatique dans tous les sens du terme. Son effet est plus radical que la conduite imposée par le rédac chef.47. Bien que cela terrifie les médias traditionnels, ils ont également largement besoin d’intranets ouverts pour générer et partager des informations critiques. Ils doivent résister à l’envie d’améliorer ou de contrôler ces conversations en réseau.48. Quand les intranets des médias traditionnels ne sont pas bloqués par la peur et les règles juridiques, le type de conversation qu’ils favorisent, résonnent remarquablement comme les conversations de leurs audiences connectées en ligne.49. Les diagrammes organisationnels fonctionnaient dans une ancienne économie, où les plans pouvaient être totalement compris au plus haut de la pyramide de décision et que des ordres de travail précis pouvaient alors être donnés vers le bas.50. Aujourd’hui, la charte organisationnelle est hyperliée, et non hiérarchique. Le respect pour la transmission de la connaissance est bien plus fort que celui pour une autorité abstraite.51. Le management du style commander-et-contrôler vient de et renforce la bureaucratie, la lutte du pouvoir et une culture globale de la paranoïa.52. La paranoïa tue le dialogue. C’est son but. Mais le manque de dialogue peut tuer un média.53. Il y a deux sortes de dialogues en cours. Un à l’intérieur du média. Un avec ses audiences.54. Dans la plupart des cas, aucun des deux ne se passe très bien. Pratiquement à chaque fois, la cause de l’échec peut être ramenée à des notions obsolètes de l’autorité et du contrôle.55. En tant que politiques, ces notions sont du poison. En tant qu’outils, elles ne marchent pas. L’autorité et le contrôle rencontrent l’hostilité des journalistes et génère une méfiance parmi les audiences interconnectées.56. Ces deux conversations veulent dialoguer l’une avec l’autre. Elles parlent le même langage. Elles se reconnaissent mutuellement.57. Les journalistes futés se dépêcheront et aideront l’inévitable à arriver plus vite.58. Si la volonté de ne pas faire de vague était un critère d’évaluation du QI, alors très peu de journalistes seraient dans le coup.59. Aussi subliminal que cela soit sur le moment, des millions de personnes en ligne perçoivent maintenant les médias traditionnels comme à peine mieux que des vendeurs de temps de cerveau disponible qui font de leur mieux pour éviter que ces conversations ne se croisent.60. C’est suicidaire. Les communautés veulent parler aux journalistes et à ceux qui créent les contenus qu’elles consomment.61. Malheureusement, la partie du média à laquelle les audiences connectées veulent s’adresser, est généralement cachée derrière un écran de fumée de boniments, d’un langage qui sonne faux, et qui généralement, l’est.62. Les communautés ne veulent pas parler au service de médiation ou au modérateur du site web. Elles veulent participer aux conversations ayant cours de l’autre côté du mur d’enceinte du média.63. Se mettre à nu, être personnel. Nous sommes ces audiences… Nous voulons vous parler.64. Nous voulons accéder à votre information interne, à vos plans, vos stratégies, vos meilleurs projets, votre sincère connaissance. Nous ne nous contenterons pas d’une brochure en couleurs, d’un site web plein à craquer de poudre aux yeux et de dépêches d’agence, mais sans aucune substance.65. Nous sommes également les audiences qui font fonctionner vos médias traditionnels. Nous voulons parler aux journalistes directement de notre propre voix et non selon des platitudes écrites dans un contrat de gestion.66. En tant que consommateur d’informations, nous n’en pouvons vraiment plus de les obtenir via des télécommandes.. Quel besoin avons-nous de répondre à des sondages par sms surtaxés pour nous présenter les uns aux autres ?67. En tant que consommateur d’informations, nous nous demandons pourquoi vous n’écoutez pas. Vous avez l’air de parler dans une autre langue.68. Ce jargon autosuffisant que vous jetez alentours en quoi ça nous concerne ?69. Peut-être que vous impressionnez vos administrateurs. Peut-être que vous impressionnez le gouvernement. Vous ne nous impressionnez pas.70. Si vous ne nous impressionnez pas, vos actionnaires en seront de leur poche. Est-ce qu’ils ne peuvent pas comprendre cela ? S’ils le comprenaient, ils ne vous laisseraient pas nous parler ainsi.71. Vos notions fatiguées sur la sacro-sainte Audience rendent vos yeux ternes. Nous ne nous reconnaissons pas dans vos projections. Peut-être parce que nous sommes déjà aller voir ailleurs.72. Nous aimons beaucoup ce nouvel espace de partage et de discussion de l’Information. En fait, nous le créons.73. Vous êtes invité, mais c’est notre territoire. Laissez vos chaussures à l’entrée. Si vous voulez trinquer avec nous, descendez de votre cheval !74. Nous sommes immunisés contre la propagande. Laissez tomber.75. Si vous voulez nous parler, dites-nous quelque chose. Et quelque chose d’intéressant, pour une fois.76. On a des idées pour vous aussi : de nouveaux outils dont nous avons besoin, de meilleurs propositions. Des propositions pour lesquelles nous sommes prêts à retrousser nos manches. Vous avez une minute ?77. Vous êtes trop occupés à “faire l’information” pour répondre à notre email ? Zut, désolé, on reviendra plus tard. Peut-être.78. Vous voulez notre attention ? Nous voulons la vôtre !79. Nous voulons que vous arrêtiez votre trip, votre névrotique attention sur vous-même, venez faire la fête.80. Ne vous inquiétez pas, vous pouvez encore gagner des parts de marché publicitaire Enfin, à condition que ce ne soit pas votre seul soucis.81. Avez-vous remarqué que l’argent en soi, est un peu unidimensionnel et ennuyeux ? De quoi d’autre pourrait-on parler ?82. Les dépêches d’agence ne touchent plus personne. Pourquoi ? On aimerait interroger les journalistes qui les ont rédigées. Votre stratégie éditoriale n’a aucun sens. Nous aimerions en discuter avec votre rédac’ chef. Comment ça, il n’est pas là ?83. Nous voulons que vous preniez vos dizaines de milliers de lecteurs/téléspectateurs autant au sérieux qu’un ministre de l’Audiovisuel.84. On connaît des gens dans votre média. Ils sont plutôt sympas en ligne. Vous en avez d’autres comme ça que vous cachez ? Est-ce qu’ils peuvent sortir pour venir jouer ?85. Lorsque nous avons des questions, nous nous tournons les uns vers les autres pour obtenir des réponses. Si vous n’aviez pas une main si dure sur “vos gens” peut-être que nous nous tournerions vers eux.86. Lorsque nous ne sommes pas occupés à être votre “coeur de cible”, la plupart d’entre nous sont aussi vos gens.. Nous préférions discuter avec des amis en ligne, plutôt que de regarder l’heure. Cela diffuserait votre nom d’une façon bien plus efficace que votre site web à un million d’euro. Mais vous nous dites que s’adresser aux audeinces est réservé aux journalistes.87.Cela nous ferait plaisir que vous compreniez ce qui se passe ici. Ce serait vraiment bien. Mais ce serait une grave erreur que de croire, que nous allons vous attendre.88. Nous avons de meilleures choses à faire que de nous soucier de savoir si vous allez changer à temps pour conquérir notre attention. Nous informer n’est qu’une partie de nos vies. Elle semble remplir complètement la vôtre. Réfléchissez-y : qui a besoin de qui ?89. Nous avons un vrai pouvoir et nous le savons. Si vous ne saisissez pas le concept, une autre équipe rédactionnelle va débarquer qui sera plus attentive, plus intéressante, plus sympa pour jouer avec.90. Même dans le pire des cas, notre toute récente conversation est plus intéressante que la plupart des salons professionnels, plus divertissante que n’importe quelle série télé, et certainement plus proche de la vie que les sites web institutionnels que vous avons vus..91. Notre allégeance va à nous-mêmes, à nos amis, à nos nouveaux alliés et connaissances, et même à nos adversaires. Les médias qui n’ont pas de liens avec ce monde, n’y auront pas de futur non plus.92. Les journalistes dépensent une énergie folle pour “faire de l’info de qualité”. Pourquoi ne veulent-ils pas prendre en compte ce que disent les milliers de communautés qui comment l’actualité ? Les enjeux sont bien plus importants93. Nous sommes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des médias. Les barrières qui délimitent nos dialogues sont comme le mur de Berlin aujourd’hui, mais elles ne sont qu’un désagrément. Nous savons qu’elles finiront par tomber. Et nous allons nous appliquer des deux côtés, à les faire tomber.94. Pour les médias traditionnels, les conversations en réseau peuvent sembler confuses, embrouillantes et désarçonnantes. Mais nous nous organisons plus vite que vous ne le faites. Nous avons de meilleurs outils, d’avantages d’idées neuves, et aucun règlement pour nous ralentir.95. Nous nous éveillons et nous connectons les uns aux autres. Nous observons. Mais nous n’attendons pas.