Journaliste professionnelle depuis 2013, Catherine Joie a d'abord travaillé au Soir avant de prendre en charge la rédaction en chef du mook 24h01. En 2019, elle participe à la première édition de Pilote.Media, un programme d'accompagnement de projets media et expérimente depuis lors différentes manières de travailler, en collaboration avec ses sources, en faisant participer son audience et en coopérant avec d'autres journalistes belges et européens.
A l'occasion de la sortie de sa dernière enquête, publiée dans la revue Tchak.be, Catherine revient sur les ingrédients de sa "méthode", sur les relations de confiance qu'elle essaye de tisser avec ses sources ainsi que sur les essais et les erreurs rencontrés au cours des 12 derniers mois.
Vidéo enregistrée lors d'un meet-up en direct dans l'Open Newsroom le 29 septembre (rejoignez-nous pour participer aux prochaines rencontres !), et résumée ici en 25 minutes, avec le verbatim ci-dessous
"Mes deux casquettes sont indissociables". Il y a, d'un côté, la méthode journalistique. De l'autre, les enquêtes en tant que telles. "Je ne pourrais pas travailler sur la méthode sans avoir un cas concret sur lequel travailler en parallèle. A l'inverse, je ne voudrais pas travailler sur la thématique de l'élevage et de la viande sans coupler ce travail à une approche collaborative."
"L'une de mes grosses difficultés est de me rappeler constamment que mon objectif est de ne pas retomber dans une façon conventionnelle de travailler."
Pourquoi j'ai commencé à faire du journalisme collaboratif ? "Pour chercher une autre relation avec le public et avec les sources".
"Le journalisme collaboratif, tel que je le vois, est la recherche d'une nouvelle approche et d'une nouvelle relation entre les sources, les journalistes, les médias et les publics. Comment interagir entre journalistes et sources ? C'est aussi une recherche de solution à la crise de confiance envers les médias et la mécompréhension qui existe entre les publics et les journalistes."
La relation aux sources. "Je fais une distinction entre les sources et les publics, puis entre les journalistes et les médias. Pour moi, les journalistes et les sources vont de paire, puis les médias et les publics vont de paire. Mon travail prioritaire, en tant que journaliste indépendante, est de chercher de l'information. Ce qui revient à contacter des personnes ressources, qui deviendront peut-être des sources. (...) Si je suis allée chercher ces personnes pour trouver de l'info, c'est parce que je fais confiance en leur expertise. C'est ça le point central : qui possède l'information ? Qui la comprend au mieux ? Qui peut aider les journalistes à la traiter ? Les sources sont les personnes qui connaissent le sujet et le secteur. C'est là que se joue la relation de confiance, et c'est cela que j'essaie de changer. Plutôt que de demander systématiquement au public et au grand public de faire confiance aveuglément aux journalistes, l'idée est de se dire : qui vais-je de toute façon consulter pour avoir de l'info ? Et dès lors, comment travailler ensemble ?" Remarque importante : A ce stade de l'interview, Catherine aurait dû/voulu d'aborder la question de la transparence, en journalisme collaboratif. Elle a remarqué a porteriori avoir totalement oublié de parler de cet élément fondamental... Et s'en excuse. Elle tient donc à ajouter cette remarque, au lendemain du meet-up : —> Un travail journalistique collaboratif fonctionne, en théorie du moins, grâce à la transparence de la démarche. Si les enquêtes, les reportages, les interviews.... sont ouvert.e.s aux sources (via des documents partagés, des échanges en amont et en aval d'une publication, des mécanismes d'édition en continu de textes en continu, des contribution multiples...), c'est à la condition que ces échanges soient rendus publiques. L'idée étant que le(s) public(s) puisse(nt) connaître les conditions de réalisation de l'enquête, du reportage, de l'interview. Exemple : si une source annote un document, cela se fait de façon ouverte et transparence. Pas dans le dos des lectrices.teurs.
La différence entre la théorie et la pratique. Comment concrétiser les intentions journalistiques ? "Le collaboratif commence dès le terrain. Expliquer qui je suis, où j'en suis dans l'enquête, les infos que j'ai déjà déjà. Donner le contexte. Expliquer. Ne pas cacher le processus de travail qui ont vient, qui nous envoie, dire d'où on vient, où on en est dans la réflexion, vers quoi on tend. (...) Une question que je trouve importante à poser, c'est la suivante : quels sont les sujets qui vous intéressent ? Sur quoi des journalistes devraient-ils.elles se pencher ?" Au départ, c'est une démarche invisible et informelle. Il n'y a pas d'outils. C'est de la pure conversation.
"Je précise aux sources que rien ne sera publié sans qu'ils.elles n'aient eu des nouvelles de ma part. (...) J'écris un texte que je considère comme un brouillon. Ensuite, je fais le tour de toutes les personnes citées dans l'article. (...) C'était l'un des meilleurs moments de mon travail cet été. Faire la liste des personnes citées. Classer les sources par ordre de protection. Commencer par les personnes qui doivent être protégées au mieux. (...) Je leur "spoile" le contenu de l'article. J'envoie des paragraphes entiers. On échange et on voit si la personne en face est d'accord."
Comment faire du collaboratif pour des enquêtes qui mettent des gens en cause ? "Je n'ai pas encore été confrontée à cette situation." (Réponse à travers le cas concret de cette enquête pour Tchak !) "Je suis la première à apprendre au cas par cas ! A chaque étape du processus, je me demande : comment ajouter du collaboratif ? (...) En commençant tout ceci, j'étais la première à me poser mille questions. Qu'est-ce qui se passe si ceci ? Est-ce que je peux vraiment faire relire ? Et si quelqu'un veut changer tout le texte ? (...) Forcément, je réfléchir à 14 fois avant de faire quelque chose. Mais je teste. Et ce que j'ai constaté cette fois-ci, c'est que j'essaie de donner le moins de consignes possible aux sources qui relisent, mais ils.elles comprennent que c'est dans les citations qu'ils ont le plus de marge de maneouvre. Et la qualité de l'info augmente. C'est ça la magie du truc ! C'est qu'ils.elles ajoutent des infos complémentaires. On ne perd rien, on y gagne."
Comment faire du collaboratif, ou de l'édition continue, en tenant aussi compte des contraintes d'impression de la presse papier ? "Dans l'idéal, je vise l'auto-publication pour répondre à ce problème. Et les endrois où je publie devraient pouvoir bouger. Les médias ont des supports d'information qui sont figés et c'est leur problème. (...) C'est nécessaire pour moi d'avoir une relation avec des médias. Ca crédibilise mon travail, parce qu'il est publié par un média. Dans l'idéal, ce qui est publié par Tchak ne serait qu'une version du travail. Pour moi, c'est à la personne qui joue avec des approches collaboratives de mettre en place des outils différents. C'est pour ça que l'an dernier, j'ai travaillé dans des Google docs. Ce qui est sorti dans Le Vif et ce qu'on peyt lire dans le Google doc n'est plus le même aujourd'hui. L'un a évolué, l'autre pas." A propos de journalisme collaboratif et de Wikipedia : "Je n'utilise jamais directement le mot Wikipedia, parce que j'attends qu'il arrive de lui même dans la conversation ! C'est mon idéal journalistique : que les enquêtes, les reportages, soient des pages Wikipedia. Qu'il y ait des expert.e.s qui en deviennent éditeurs.trices et qui ajoutent des informations - et qui les sourcent. Que le journalisme devienne du travail à plusieurs. Là-dedans, mon travail, c'est de faire l'article de base, qui est le brouillon." A propos de l'exclusivité des informations et des dates de publication : "Et si les infos sortent à l'avance ? C'est aussi une crainte chez moi. Je dois constamment travailler là-dessus. De mon côté, le but est d'inverser la confiance et je dois encore travailler super fort sur ce point. Quand j'envoie un texte à des sources pour relecture, je dois avoir du lâcher prise. Faire confiance en les personnes en face et me dire qu'elles seront respectueuses du travail et que ce document ne va pas circuler dans tous les sens." (On sent ici une contradiction, à nouveau, entre la théorie et la pratique. Dans l'idéal, ce serat justement très bien que les documents circulent dans tous les sens. Mais en pratique, c'est difficile de lâcher prise à ce niveau.) Comment en vivre ? Quel modèle économique ? "Ma une première difficulté est de trouver et savoir avec quels médias j'ai envie de bosser. (...) Par exemple, les délais de Tchak ! (magazine trimestriel) ne sont pas agréables en journalisme collaboratif." (Comparaison avec le cas du Vif.) A propos de marketing éditorial et de marketing personnel, en tant que journaliste indépendante : "Mon boulot, en tant que journaliste indépendante, n'est pas de faire vendre Tchak !. C'est pour ça que je cinde les sources et les jouranlistes d'un côté, les médias et les publics de l'autre.Le marketing pour un média, ce n'est pas mon boulot. J'ai voulu travailler avec Tchak ! parce que c'est un magazine qui correspond au sujet de l'enquête, au niveau de la ligne éditoriale et du public. J'atteins, à travers Tchak!, un public qui est susceptible d'être intéressé par ces questions. Ma stratégie marketing personnelle, par contre, c'est que les informations que je trouve soient disponibles tout de suite. Que les infos soient dans les posts instagrams et dans les posts Facebook. Pas de promo ou de renvoi en disant "allez lire l'article". En fait, je vise les posts sur les réseaux sociaux qui donnent directement l'info." Quelles rentrées financières ? "Il est ultra éclaté. Mon échelle, c'est un tarif journalier. Je jongle avec cela. (...) Mon objectif est que ma balance ne soit pas majoritairement dépendante des revenus tirés de piges, tout en ne faisant que du travail journalistique. (...) Mon challenge personnel, c'est cette équation : tout en respectant les règles du jeu et tout en ne vivant que de revenus journalistiques, 1) comment parvenir à en vivre et 2) comment, au sein de mes revenus, arriver à faire en sorte que mes revenus autres que les piges soient supérieurs aux piges. Tout ça pour garder une indépendance vis-à-vis des rédactions."
Explication des trois approches participatives ou collaboratives auxquelles elle participe en ce moment :
1) Ses projets sur l'élevage. Et dans la foulée, explorer comment changer le rapport aux sources ;
2) Le journalisme participatif chez Médor (www.medor.coop) ;
3) Une approche collaborative entre journalistes de pays différents (collaobrative cross-boarder journalism). De la même veine que la culture des "leaks", mais pour des sujets plus généralistes (ou enquêtes plus classiques, sans fuites de documents).
"Je n'invente pas l'eau chaude. Ce que je fais, c'est prendre ds choses qui existent déjà, et voir comment les appliquer à sa pratique professionnelle. Je ne veux pas passer pour la femme qui donne des leçons et qui dit qu'elle a inventé quelque chose qui n'existait pas. Pas du tout. Mais ce sont des dynamiques de travail qu'on ne voit pas souvent. Et c'est pour ça que j'aime expliquer ce que je fais. Le but, c'est d'expliquer comment je travaille et peut-être que d'autres personne se diront : Ah oui, c'est chouette."
"C'est toutes ces choses-là qui me font kiffer mon métier, depuis 2019. On est de moins en moins heureux.ses en tant que journalistes. Les gens sont aigris envers les médias. Alors je suis super contente quand je sors d'une enquête et que les infos sont pertinents, complètes, justes et pertinentes pour un secteur. Je ne suis pas arrivée à ce résultat toute seule, vraiment pas. Je suis arrivée à mettre le doigt sur une question pertinente pour un secteur parce qu'en discutant avec des gens du secteur, j'ai compris qu'il y avait un trou à cet endroit-là et que mon boulot, c'était peut-être de le combler. Ensuite, ouvrir des documents, appeler des gens, recontacter des sources et dire : "Ca vous va ?" Il ne faut pas comprendre cette phrase dans le sens où si ça ne leur va pas, je change tout. Mais dans le sens : "Est-ce que ça fait sens ? Est-ce que c'est pertinent ? Est-ce que c'est correct ?"