Pour les médias, Facebook est une formidable opportunité pour distribuer leur articles, leurs vidéos à travers le monde entier, mais aussi aussi une sacrée concurrence pour le marché publicitaire, et donc un danger pour leur santé financière. Le dernier épisode dans cette tumultueuse relation amour/haine entre les médias et Facebook a eu lieu en Australie.
Acte 1: depuis plusieurs semaines le gouvernement Australien étudie un projet de loi qui vise, en gros, à faire passer Facebook à la caisse pour aider au financement des medias, des medias qui ont effectivement beaucoup de mal à renouveler leur modèle économique. (on vend moins papier qu'avant, et le prix de la publicité en ligne est très très bas. Il faut faire beaucoup d’articles, de vidéos et de vues pour gagner un peu d'argent).
Acte 2 : Facebook, qui sent le vent arriver, réplique en explique que l’essentiel de ses revenus publicitaires viennent justement des petites entreprises, des artisans et des commerçants qui n’avaient de toute manière pas la possibilité de faire de la publicité dans les medias quand ceux-ci en avaient encore le monopole. Et qui plus est, les publicités numériques sont bien plus efficaces et ciblées qu’avant. Donc, Facebook prévient les Autorités australiennes: ce sont les médias qui ont plus besoin de Facebook pour survivre que Facebook des medias et que si les medias pensent que Facebook gagne de l'argent sur son dos, et bien ils n'ont qu'à arrêter de publier des liens vers leurs articles. C'est un problème qui peut se régler très facilement, dixit en tout cas Facebook.
Acte 3: Le gouvernement australien persiste et signe et annonce il y une dizaine de jours que la loi sera bel et bien adoptée et que Facebook sera taxé. La réponse du berger à la bergère ne s'est pas fait attendre et fin de la semaine dernière: Facebook a dégainé l'arme nucléaire et supprimé tous les articles publiés par les médias australien sur son réseau. Même ailleurs dans le monde, plus personne n'a accès aux articles des médias australiens, et dans la bagarre , même des sites d’ONG et d'institutions et même des services de secours se retrouvent supprimés, les robots de Facebook ayant fait un peu d'excès de zèle dans ce grand nettoyage
Le résultat de cette mesure de rétorsion est net et sans appel: en quelques heures, le trafic des sites internet des medias australiens a plongé dramatiquement. Et leurs rentrées publicitaires aussi. Facebook , Google etc. ont donc "cassé" le monopole des medias sur la publicité, un marché qui a complètement été bouleversé par le numérique. Mais c'est aussi un problème de démocratie, de pluralité des opinions, d'accès à l'information. Vouloir faire payer au premier les déboires économiques du second n’est donc pas une question de concurrence ou de commerce. C'est un vrai problème "politique".
Acte 4: Google annonce dans la foulée du blocage de Facebook qu'il a conclu un accord avec Newscorp, le groupe de médias qui appartient à Rupert Murdoch, le magna de la presse qui fait la pluie et le beau temps en Australie depuis plus de 30 ans.
Et donc,
Acte 5: Cet accord met la pression sur Facebook, qui ne peut pas se permettre de laisser Google avancer sur ce terrain tout seul. Facebook qui annonce donc hier mardi avoir conclu un accord avec le gouvernement australien et qu'il va remettre les articles en ligne, à condition de pouvoir négocier avec les médias de manière individuelle, notamment afin de leur proposer d’intégrer leurs articles dans un onglet "spécial" news, comme c’est déjà le cas en Angleterre depuis le début de l'année. En contrepartie, Facebook s'engage à payer "un certain montant" aux médias de leur contenu.
Ce n’est donc pas tant une question d’argent que de pouvoir. Facebook et Google sont prêt à payer, ils le font déjà en soutenant des initiatives de soutien à la presse, notamment aux USA et en Europe, à condition de choisir qui ils soutient, mais surtout, ils ne veulent absolument pas abandonner leur propre monopole construit depuis 20 ans: celui d’agréger et de monétiser tous les contenus gratuits publiés sur leur plateforme par les internautes, qui sont d’ailleurs un peu les seuls perdants dans ce combat titans. Facebook, Google et consorts, appliquent donc à la lettre leur tactique de diviser pour mieux régner, puisque les medias vont devoir négocier individuellement leur contrat, alors qu’une taxe globale aurait sans doute mis tout le monde sur le même pied d’égalité.
Le gouvernement australien a sauvé la face, puisque la loi sera quand même publiée. Une loi qui ne sera donc jamais appliqué puisque Facebook et Google ont négocié une sorte d’immunité, bref, les seul vrais perdants dans cette saga c’est le public, qui risque d’avoir moins de diversité d’opinions et moins de petits medias puisque ceux-ci ne pourront sans doute pas négocier en direct avec Facebook.
Suite et surement pas fin de cette saga lorsque l’Europe aura tiré les enseignements, ou pas, de cet épisode australien, quand il s’agira d’envisager la régulation de Facebook et Google, et l’avenir du soutien à la presse
Pour aller plus loin:
Facebook va restaurer les contenus d’actualité en Australie (le Monde)
« Facebook got everything it wanted out of Australia by being willing to do what the other guy wouldn’t » (Niemanlab)