« Alors que le déploiement des réseaux sociaux il y a 20 ans a poussé à une rapide et souvent désastreuse révolution médiatique, l’ère de l’IA risque de provoquer le même chaos de manière encore plus globale et catastrophique. »
Les IA comme ChatGPT pourraient bien rebattre les cartes pour les médias qui ont passé les quinze dernières années à tenter de s’adapter à un Web dominé par les plateformes sociales. Imaginez dans un futur plutôt proche comment les intelligences artificielles du type ChatGPT vont être intégrées aux moteurs de recherche. Plutôt que de vous renvoyer vers des médias qui répondent à vos requêtes via des liens web, Google ou Bing préparent un avenir où les réponses seront automatiquement générées par IA. Si cette vision (encore hypothétique) va toujours renforcer les géants habituels de la tech, elle risque aussi d'encore changer la donne économique des médias. Comment faire de l’argent quand un modèle basé sur l’audience large et la publicité se casse la figure ? Comment faire la différence dans un environnement qui sera massivement saturé en textes générés automatiquement ? Jim VandeHei, cofondateur et CEO du média Axios, s’est posé la question et explore les différentes pistes d’évolution qu’offre l’avènement de l’IA aux médias. La fin du putaclic ? L’une des premières conséquences est déjà visible actuellement : il s’agit de la fin des médias qui ont misé leur développement sur le trafic le plus élevé possible. Se reposant généralement sur les effets de levier que procurent les plateformes sociales certains sites comme Vice ou BuzzFeed ont déjà amorcé leur déclin. Axios envisage que ces médias « généralistes » seront beaucoup moins nombreux (mais toujours présents) à mesure que la valeur de leurs contenus ira en diminuant face aux articles générés par IA. À l’inverse, une multitude de médias de niche hyperspécialisés sur leurs sujets et apportant une expertise recherchée (qu’il faudra payer par abonnement) devraient voir le jour et profiter d’une réelle croissance. Par ailleurs, la faible fiabilité des informations données par les intelligences artificielles devrait aussi augmenter la recherche, de la part des internautes, de sources en qui ils peuvent avoir confiance. Même constat pour les annonceurs qui devraient privilégier des médias aux contenus fiables pour y faire de la publicité. Le modèle des newsletters va-t-il dominer le marché ? En suivant la même logique, Jim VandeHei explique que les réponses générées par les IA seront tellement précises et bien écrites qu’elles vont mettre à mal des médias crédibles. La contrepartie de cette évolution sera le renforcement obligatoire des relations entre les éditeurs de presse et leur public, mais aussi la généralisation de l’accès à l’information par la newsletter. Le CEO du média justifie sa prédiction par l’amélioration des boîtes mail et l’envie du public de recevoir l’information personnalisée de manière plus passive. Il prétend aussi que le contenu news en lui-même devra être plus efficace et plus court, ce qui devrait laisser de la place au développement de podcasts et d’articles long format. L’entre-deux, que l’auteur qualifie de « fillers » (ces articles écrits pour remplir un site et faire plaisir au SEO de Google) devrait – quant à lui – disparaître à mesure que les algorithmes des plateformes sociales perdent en pouvoir. Vers un futur médiatique intenable ? En creux, Jim VandeHei dessine un futur où les médias ressembleraient quand même beaucoup… à Axios. D’après lui, le modèle qu’il souhaite pousser est le seul qui pourrait survivre dans un environnement médiatique qui sera forcément dominé par le contenu généré par IA. Or, pour le moment, les choses ne sont pas encore totalement jouées. Les modèles de langages comme GPT4 sont certes impressionnants, mais ils continuent de générer de fausses informations ou s’autocensurent fortement malgré une connexion au web et une possibilité d’aller chercher des sources vérifiées. Dans le futur souhaité par Axios, le public a déjà accepté de lire ce contenu généré par IA de manière massive. Cette prédiction presque dystopique est discutée par Emily Bell directrice du Tow Center for Digital Journalism, à l'école de journalisme de l'université de Columbia, dans un article paru dans le Guardian. Elle estime qu’il existe un véritable risque que des médias plus ou moins légitimes se lancent dans une opération de flooding (soit toute action qui consiste à envoyer de l'information de manière massive) qui créera de la confusion et de la fatigue mentale pour n’importe quel internaute voulant chercher de l’information. Alors que le déploiement des réseaux sociaux il y a 20 ans a poussé à une rapide et souvent désastreuse révolution médiatique, l’ère de l’IA risque de provoquer le même chaos de manière encore plus globale et catastrophique.