Récemment, Marsactu a de nouveau éprouvé sa culture de l'indépendance. Nous avons envisagé puis refusé une nouvelle source importante de recettes car elle mettait en péril l'autonomie totale de notre journal. Notre chargé de développement Nicolas Georges vous raconte pourquoi.
200 000 euros, au bas mot. À l’échelle de notre journal, cela représente grosso modo six mois de chiffre d’affaires. Alors que nous travaillons sur notre plan de marche jusqu’en 2025, la somme nous aurait bien aidés pour réaliser de multiples projets. Mais nous avons finalement choisi d’y renoncer au nom d’une certaine idée de notre journal. J’ai eu envie de vous expliquer pourquoi.
Avant d’aller plus loin, petit rappel sur mon rôle. Je suis chargé de développement, j’ai un regard sur tous les projets non-journalistiques de Marsactu, à commencer par la communication et le marketing. Je suis aussi associé de l’entreprise. Alors ces 200 000 euros, je vous mentirais si je disais qu’ils n’attiraient pas notre attention.
Pour le dire simplement, cette manne nous a été proposée pour diffuser des annonces légales. L’idée était sur la table depuis des années, nous avons même demandé un agrément permettant cette diffusion pour 2022, “au cas où”, en se disant qu’on allait trancher plus tard.
Les annonces légales, si vous lisez la presse quotidienne régionale, vous voyez bien ce que c’est. Des encarts annonçant les créations d’entreprise ou encore les publications d’appels d’offres de collectivités locales, entre autres choses.
Les recettes correspondantes peuvent être très importantes quand elles sont ramenées à une entreprise comme la nôtre. Et la demande est réelle : des opérateurs nous ont contactés spontanément pour nous assurer un gain net potentiel de 50 000 euros par an sur quatre ans.
200 000 euros, c’est ce que rapportent 700 abonnés. À mon poste depuis cinq ans et demi, je connais bien la difficulté inhérente au fait de convaincre autant de lecteurs de nous soutenir dans la durée. Je n’ignore pas non plus les vents contraires qui sont les nôtres depuis quelques mois. L’apport de cette somme pouvait considérablement modifier nos équilibres budgétaires.
Julien Vinzent, président de Marsactu, est plus placide que moi. Il apprécie l’opportunité mais envisage aussi déjà les conséquences qu’elle pourrait avoir sur l’indépendance de Marsactu. Si nous ne pouvons ignorer cette potentielle rentrée d’argent, nous ne pouvons pas non plus faire comme si elle était anodine. Un débat d’équipe était nécessaire.
C’est donc ce que nous avons fait lors d’un “CoDir” (le comité de direction constitué des salariés-associés de l’entreprise) et un consensus a été trouvé assez rapidement. C’est non et ça le sera toujours. Voici en quelques mots pourquoi :
Un journal qui publie des annonces légales n’a pas le droit de choisir ses clients. Nous nous serions donc peut-être retrouvés à passer des enquêtes publiques des collectivités et à toucher les recettes associées à cette forme encadrée de publicité.
Pour un journal qui clame depuis 2015 son refus de la publicité et des subventions des collectivités locales, il aurait fallu expliquer en quoi ce financement est plus sain. Or, il ne l’est pas. Ces annonces légales sont, certes, une forme d’aide à la presse mais une aide laissée au bon vouloir des collectivités, en toute opacité.
Les réponses à notre appel à la transparence des financements locaux des médias nous en ont convaincus. Partout, les collectivités assument de taire le montant distribué aux médias, lesquels se gardent bien d’en informer clairement leurs lecteurs. Aucun critère transparent ne permet au citoyen de comprendre la répartition de cette manne. De là naît un levier possible pour un élu en quête d’influence… et le doute pour les lecteurs.
La perspective de toucher des subsides émanant d’institutions sur lesquelles nous enquêtons régulièrement est simplement intenable pour ces raisons évidentes.
Voilà pour la position collective. Pour ma part, j’ai essayé de faire vivre le débat mais je n’ai pas trouvé grand-chose à redire, le point de vue est cohérent. Marsactu est un journal indépendant, nous avons la possibilité d’écrire les articles que l’on veut et de ne rendre des comptes qu’à nos abonnés. C’est un luxe acquis de haute lutte.
Alors oui, sur le papier, notre budget n’est pas confortable en 2022, pas du tout. Faire le pari de perdre 200 000 euros, c’est faire le choix de limiter nos investissements mais aussi nos dépenses de personnel (je parle de salaires, oui). C’est réfléchir plus attentivement à nos dépenses dans des projets éditoriaux exceptionnels.
Marsactu, c’est une histoire entre vous et nous et ça ne changera jamais.
Nous ferons autrement, comme on a toujours fait. Les seuls financeurs que l’on a toujours sollicités, c’est vous, nos lecteurs. C’est parce que nous avons toujours besoin de vous que nous vous sollicitons autant. C’est pour cela que vous voyez nos publicités tout le temps sur Facebook, pour cela que nous vous envoyons des mails de promotion régulièrement et c’est pour cela aussi que nous vous invitons aujourd’hui encore à vous abonner ou, si c’est déjà fait, à faire un don (c’est déductible de l’impôt) et à parler de nous autour de vous.
Marsactu, c’est une histoire entre vous et nous et ça ne changera jamais, cette dernière opération de mobilisation nous le prouve une fois encore. Ce lien vaut beaucoup, beaucoup plus que 200 000 euros.
Nicolas Georges